impressionnable comme une plaque sensible par ce qui passe devant lui sans attendre le jour où l’âge -l’aura « voilé, » si nous faisions défiler devant sa chambre notre toutes les notions bien claires aux contours bien nets qu’il désire, nous ne serions pas obligés plus tard de les y enfoncer au burin, comme on grave une plaque de cuivre.
Il y a, il est vrai, des auteurs qui le font et qui imposent aux esprits de toute une génération leur vision de la vie. Ce sont les conteurs. On voit, au Petit Palais, une vitrine consacrée à leurs livres depuis Berquin. Nous aurions tort de passer indifférens : ce sont là les plus puissans semeurs d’idées qui règnent sur notre pays. Les autres sèment sur la route et quelquefois sur le pavé. Lux, ils sèment sur de l’humus. Les livres que lisent les hommes ne peuvent guère modifier que leur intelligence. Les livres que lisent les enfans forment leur sensibilité. C’est avec les notions acquises, homme, qu’on comprend. C’est avec les notions acquises, enfant, qu’on sent. L’antipathie ou la sympathie de toute une génération pour tel peuple, pour telle race, pour telles mœurs, pour telle façon de vivre, pour telle carrière, viennent surtout des impressions d’enfance et des lectures qui les ont suscitées. On y prend peu garde d’ordinaire, parce qu’elles se sont si bien agrégées à nos instincts les plus profonds qu’on se les imagine innées, ou bien, comme elles ont trouvé plus tard des formules savantes pour s’exprimer, on s’honore volontiers de les devoir aux maîtres autorisés de la pensée. Mais on se trompe. Si l’on recherchait les sources des mouvemens les plus originaux d’une génération dans un pays, ou les retrouverait bien plus sûrement chez ceux qui ont enchanté l’enfance de cette génération que chez ceux qui ont prêché son âge mûr. Le mouvement colonial a été suscité par des gens qui, enfans, avaient lu les aventures des Enfans du Capitaine Grant, et Nansen acclamé par des gens qui, enfans, avaient lu le Capitaine Hatteras, pendant que l’alliance russe, trente ans après la guerre de Crimée, apparaissait comme la chose la plus naturelle du monde à ceux qui, enfans, avaient lu des apologies du peuple russe dans l’histoire de l’excellent Général Dourakine et de Michel Strogoff. L’idée nouvelle que la France se fait de l’Angleterre a été déposée, tout entière, dans le cerveau des jeunes Français par les types d’énergie et d’insolence que M. Jules Verne a créés et il ne faudrait pas beaucoup chercher dans les livres de Mme de Ségur pour y