Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Est-ce ainsi, qu’avec l’enfant, procède, la pédagogie ? Non, — elle procède à l’inverse. Pour lui épargner les recherches, les erreurs, les tâtonnemens et ainsi la perte de temps inséparable de nos recherches, elle lui livre tout de suite, tout d’un coup, sans qu’il l’ait demandé, le trésor des lois générales. Elle commence par où nous finissons. Elle descend du sommet des choses au moment où nous faisons les premiers pas pour le gravir. Elle va du général au particulier, de l’abstrait au concret, du passé au présent, de la loi au fait. Ainsi épargne-t-elle à l’enfant toute notre fatigue d’invention, mais lui enlève-t-elle toute la joie de la découverte. Il n’a pas l’attente, mais il n’a pas le désir. Il n’a pas eu la peine de chercher les formules de la science et de l’art, mais elles lui sont indifférentes. N’ayant point vécu par les états d’esprit qui les rendent désirables, nécessaires, bienfaisantes, lumineuses, il n’est point enthousiasmé du cadeau qu’on lui fait. Ces fruits de l’expérience humaine accumulés pendant des siècles, par les plus sages et les plus éclairés, ces beaux fruits d’or ont pour lui un goût de cendre. Il les avale parce qu’on l’y oblige : il ne les goûte pas. Riche de formules il reste pauvre d’idées. A seize ans son cerveau est meublé de tous les systèmes philosophiques rangés en ordre qui ne lui ont rien coûté que de la mémoire, mais il les possède sans plaisir, sans curiosité, sans intention de s’en servir. Arrive l’examen, les yeux du professeur sont réjouis par ces files d’amphores rangées sans lacune, par toutes ces formules acquises, classées, conservées dans le cerveau. C’est le triomphe de l’enseignement artificiel, de l’acquisition méthodique des connaissances. Mais la nature, qui n’a pas été consultée et qui a ses exigences, prendra sa revanche un jour. Regardez ces amphores ; de loin, elles semblent des richesses, mais ne les toquez pas du doigt : elles sont vides.

Qu’eût-il fallu pour les remplir ? Regardons ces peintures. Nous verrons dans toutes, depuis Philippe de Champagne jusqu’à M. Besnard, les yeux de l’enfant, éveillés, ouverts, curieux, sur le monde… Sont-ce là des yeux d’indifférens ? sont-ce là des regards fermés aux impressions et aux visions nécessaires ? Non évidemment, et si l’on répondait à leurs interrogations muettes au moment où elles se produisent, si l’on remplissait l’esprit au moment où il est ouvert, ce qu’on y verserait ainsi de vérité, de justice, de beauté, y pénétrerait aisément et y serait fidèlement conservé. Si nous profitions de la réceptivité de cet esprit