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pas loyal de suivre l’un sans avoir entendu l’autre, que je considérerais le dépôt de cet amendement comme une insulte et romprais tout rapport personnel avec ceux qui l’auraient signé avant d’avoir connu mes explications. L’amendement fut déchiré. Jules Simon n’en fut que plus acharné dans ses attaques et ses insinuations et dans son travail souterrain de dénigrement.

La campagne des journaux avait agi sur Jules Favre. A son retour d’Aix, où l’avait longtemps retenu la célèbre affaire Armand, dans une réunion à laquelle, par hasard, je n’assistai pas, il dit qu’il avait appris par le journal l’Europe qu’à la suite de mes protestations, on avait retiré un amendement sur le droit commun ; il le reprenait pour son compte. Il saisit alors une plume, écrivit et signa. Darimon s’éleva contre les menées de Jules Simon. Picard ne dit rien, mais il prit l’amendement, le mit dans sa poche et vint m’en faire le conte. Jules Favre lui-même, le jour suivant, m’aborda dans la salle des conférences. Nous eûmes une conversation intime de plus d’une heure. Je lui racontai les variations de Jules Simon, lui montrai sa lettre à Charras, alors ignorée, lui fis sentir que ces hommes, que nous avions conduits par force à l’action, cherchaient à rompre notre faisceau amical. « De quoi s’agit-il d’ailleurs ? Est-ce d’une question de principes sur laquelle aucun accommodement ne soit possible ? Nous sommes tous d’avis que les coalitions doivent être permises, mais aussi que les violences doivent être réprimées. Cette répression est-elle déjà suffisante dans la loi générale, ou faut-il l’établir dans des articles spéciaux ? Voilà tout ce qui nous sépare, c’est-à-dire une controverse juridique sur laquelle, sans se brouiller, on peut être de deux avis différens. Et c’est à cette occasion qu’à la grande joie de nos adversaires de tous bords, nous donnerions le triste spectacle d’une division ? En thèse générale, le dépôt d’un amendement tel que vous l’avez signé n’aurait aucun inconvénient ; mais, après les insinuations de Simon et de ses amis, il constituerait un désaveu et une attaque que je ne pourrais accepter ; renoncez-y, je vous en supplie. Tout au moins, attendez que mon rapport soit fini, je vous le communiquerai, et je crois que, quand vous verrez avec quelle fermeté j’affirme le principe, tout le reste vous paraîtra secondaire. » Il sembla ému, promit de ne pas insister pour la signature de son amendement avant que je lui eusse communiqué