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mon rapport, et nous nous quittâmes avec les démonstrations les plus cordiales.

Le bruit de ce rapprochement porta au comble l’acharnement de Jules Simon et de ses amis : « J’étais un traître, je vendais la République, je fabriquais un piège contre les ouvriers ; leur condition serait pire après la loi qu’avant, etc. » Je fus stupéfait de ce déchaînement de haine. Qu’avais-je donc fait pour le mériter ?

Picard, jusque-là toujours amical, et qui, instruit le premier du projet de me nommer rapporteur, ne m’en avait pas dissuadé, Picard, qui se déchaînait partout contre Jules Simon avec autant de passion que Jules Simon contre moi, fléchit lui-même ; il me jugea perdu ; il crut que cette bourrasque m’emporterait et que, s’il ne se séparait pas de moi, il subirait le même sort. Sans me rien reprocher, il prit un air renfrogné et morne, et n’eut plus que des gémissemens, de tristes pronostics, des blâmes contenus de ma témérité.


VI

Il ne me restait qu’à préparer une vigoureuse défense. Je m’isolai, je cessai d’aller à la Chambre, et, enfermé plusieurs semaines, j’écrivis mon rapport avec une sérénité d’esprit que je puisais dans la tranquillité de ma conscience.

Dans ce rapport, je me gardai bien de présenter la liberté des coalitions comme la panacée universelle ; je prévins, avec autant de force que je le pus, les ouvriers contre l’abus qu’ils pouvaient faire de cette liberté si dangereuse : « Osons le dire, la certitude des rudes épreuves réservées à ceux qui entrent dans des grèves est un des motifs principaux en faveur de la liberté des coalitions. La garantie, nous la plaçons dans le mal que se feront à eux-mêmes les imprudens qui abuseront du droit de se coaliser. Loin d’être insuffisante, la peine sera souvent plus sévère qu’il ne serait désirable. Qu’ils hésitent longtemps avant de se servir du droit qu’on leur donne. Qu’ils n’y aient recours qu’à la dernière extrémité, en désespoir de cause, quand toute chance d’arrangement sera définitivement évanouie. Tous ceux qui leur sont dévoués de cœur et non des lèvres les en supplieront ; qu’ils ne se précipitent pas en aveugles dans les coalitions, qu’ils ne se confient pas trop aux promesses de la