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croyait-il tenu à une exactitude plus rigoureuse parce qu’il s’agissait, dans ses livres, de personnages qui avaient laissé des fils ou des petits-fils, et d’événemens contemporains, qui étaient encore l’objet de vives controverses. Ainsi s’explique le besoin qu’il éprouve de s’entourer de plus de renseignemens et de citer plus souvent ses preuves que n’avaient fait ses prédécesseurs[1].

Ce n’est pas à dire qu’il l’ait fait autant que nous l’aurions souhaité ; nous trouvons qu’il use encore beaucoup trop largement des permissions qu’on accordait aux historiens de son temps. Nous avons grand’peine à nous contenter de ces indications vagues par lesquelles il désigne les auteurs dont il invoque l’autorité (alii, plerique) ; nous aurions plus d’assurance s’il nous donnait leurs noms, et s’il nous disait qu’avant de les citer, il s’est informé de la valeur de leur témoignage ; il les cite pourtant, c’est quelque chose, et il est juste de lui en tenir compte.

Pour celui qui voulait écrire l’histoire des empereurs romains, les l’enseignemens ne manquaient pas. Il y avait d’abord les documens officiels. Je ne parle pas de ceux qui étaient enfermés sous bonnes clés dans les archives impériales et qui contenaient des secrets d’Etat. C’était le cas de ce qu’on appelait commentarii principales, sorte de mémoires ou de journaux que empereurs tenaient pour eux seuls, et qui ne pouvaient guère être laissés à la disposition de tout le monde. Tibère en avait écrit dont Domitien faisait sa lecture ordinaire ; il y en avait aussi de Claude. A l’avènement de Galba, quelqu’un ayant demandé qu’on laissât le Sénat consulter ceux de Néron, afin de savoir quels étaient les gens qui avaient offert leurs bons offices au prince pour accuser les innocens, la permission fut refusée. Mais, à défaut de ceux-là, on avait les procès-verbaux des séances du Sénat (Acta Senatus), auquel aboutissaient en ce moment toutes les affaires de l’Empire. « Ils contenaient, dit M. Fabia, avec l’énoncé officiel de la question mise en délibération par le président et de la décision prise par l’assemblée, une analyse des opinions développées par les divers membres qui avaient profité de leur tour de parole, les discours et lettres des empereurs, les acclamations dont ils avaient été l’objet ; si ce n’est pas tout à fait, on le voit, l’équivalent de notre compte rendu

  1. Ladewig fait remarquer que précisément ces citations deviennent plus nombreuses à partir de l’époque de Néron, c’est-à-dire à mesure que Tacite se rapproche plus de son temps.