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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/331

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Pologne, la vieille Prusse deviendrait d’une possession incertaine et chanceuse. Toute guerre avec la France aurait pour corollaire une guerre avec la Pologne. Quand même cette Pologne serait faible et menacée par la Russie, elle serait encore en état de gêner la liberté de nos mouvemens ; la Prusse, obligée de transporter sa ligne de défense derrière l’Oder, à une distance de douze lieues de sa capitale, se trouverait dans la position d’un guerrier mutilé qui, de son bras droit, aurait à faire une incursion en France et, de son bras gauche, à tenir son bouclier tout près de sa tête. » En conséquence, dès que le roi et Bismarck virent la Pologne russe en feu, ils garnirent leur frontière de troupes, soumirent Posen à l’état de siège et proposèrent au Tsar de conclure une convention militaire en vue de la protection réciproque des deux États.

Le Tsar fut touché de cette sollicitude et y vit un témoignage d’affection ; Gortschakof en fut choqué, blessé : il se demanda si la Prusse allait prendre le rôle que Nicolas avait joué jadis en Hongrie et si la Russie en était réduite à être ainsi protégée. Il eût volontiers refusé, mais le Tsar lui ordonna d’accepter et il dut obéir. Et, le 8 février 1863, fut signée une convention par laquelle il était dit qu’à la requête du commandant russe ou prussien, les chefs de troupes auraient le pouvoir de se prêter une aide réciproque en cas de nécessité et de franchir la frontière pour la poursuite des rebelles. Par un article secret, on s’engageait à s’instruire réciproquement des menées des insurgés. La convention n’était exécutoire qu’aussi longtemps que les parties le jugeraient nécessaire. Elle était conçue en des termes si vagues que, pour mieux en préciser la portée, il fut convenu que des instructions délibérées en commun par les deux gouvernemens seraient envoyées aux chefs de corps échelonnés sur la frontière.

Cette convention était l’application du droit naturel de police que tout État exerce entre voisins contre les perturbateurs. Mais Napoléon III, qui supportait impatiemment de rester inerte, vit dans ce pacte aussi légitime qu’inoffensif une occasion d’agir d’autant plus tentante qu’il ne s’adresserait pas à la Russie, son alliée, mais à la Prusse avec laquelle il n’en était qu’aux complimens de la coquetterie diplomatique. Il exprima d’abord son déplaisir à Goltz en termes attristés mais affectueux : « Si l’Autriche avait commis une faute pareille, cela lui eût été égal ; de la part de la Prusse il en éprouvait un véritable chagrin. »