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pour les juges. Le départ est donné là ; là aussi a lieu l’arrivée. Les chevaux se présentent dans l’ordre que le sort a déterminé et qui est tenu secret. On enferme le lot entre deux cordes tendues à hauteur de poitrail ; puis, sur un signal du mossiere[1], une des cordes tombe. Les chevaux s’élancent brusquement, en ordre dispersé. Sur leur dos, les jockeys se démènent comme des diables aspergés d’eau bénite. Les pauvres bêtes répondent tant bien que mal à cet appel désespéré ; mais l’un disparaît au tournant de San Martino, se dérobant dans une rue voisine ; un autre route avec son cavalier dans la poussière. La course prend fin au milieu d’exclamations diverses, des éclats de rire, des quolibets, des bravos ironiques, des sifflets de la foule en gaité. Parmi les spectateurs, il y en a, toutefois, de graves, je pourrais dire d’anxieux. Ce sont les vrais amateurs, les aficionados, comme on dirait à Madrid, — et les intéressés. Dans les figurans de la première heure, ils s’efforcent de découvrir les élus appelés à disputer le Palio et, parmi ceux-là, les champions véritables. Aussi leurs yeux sont-ils largement ouverts : aucun incident, aucun accident ne leur échappe. L’épreuve se répète jusqu’à ce que tous les candidats se soient mesurés par groupes de trois ou quatre, dans des séries successives. Il ne s’agit, en effet, que d’une sorte de concours éliminatoire. Parmi les concurrens, le juge en désigne dix qui sont séance tenante tirés au sort et attribués aux dix contrade[2] courantes. On conçoit toute l’importance de cette opération : elle serait pour ainsi dire décisive, sans l’intervention ultérieure et subreptice de facteurs d’un autre ordre dont je m’occuperai plus loin. Désormais le cheval adjugé ainsi devient trois jours durant la chose de la contrada. À elle de le nourrir, de le soigner, de le mettre à l’abri des embûches. Un homme de confiance, le barbaresco[3], emmène la bête, il en prend l’entière responsabilité.

Les Siennois ne quittent la place du Campo que pour s’y donner rendez-vous le soir, un peu avant l’Ave Maria. La première épreuve, ayant pour effet de mettre en lumière la valeur relative des champions du Palio, attire toujours un nombre respectable de spectateurs. À l’heure marquée pour la course, tous les yeux sont fixés sur le mossiere, car, de la mossa[4] dépend

  1. Le starter.
  2. Les quartiers de Sienne.
  3. Le gardien du cheval barbe, du barbero.
  4. Le départ.