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souvent l’issue de la lutte ; aussi tout acte de partialité de ce fonctionnaire pourrait lui attirer une volée de coups de bâton de la part des contradaioli[1] qui l’entourent. Un coup de canon, la corde tombe, le lot se précipite dans l’arène ; Valmontone et Lupa[2] abordent presque de front le tournant fatal de San Marti no, le franchissent sans accident et dévalent en ouragan dans la descente, pendant que derrière eux, les autres chevaux s’égrènent. Un des jockeys, emporté par sa monture, va donner contre les matelas disposés par précaution le long du mur, en face du tournant ; un autre culbute avec sa bête et demeure étendu sur le sol. On l’emporte évanoui. Mais je ne sais par quelle grâce d’état, les chutes au Campo n’ont jamais d’issue fatale. Cependant Lupa serre de près Valmontone, mais celui-ci résiste jusqu’à la fin, et l’emporte au milieu des vivats. De l’avis des spécialistes, les deux premiers ne sont pas loin l’un de l’autre et on peut s’attendre à un duel palpitant, le jour de la course. Cependant ici, plus encore que sur le turf, il faut compter avec les surprises du hasard.

Lundi 14 août. — Il y a fort peu de monde, aujourd’hui, pour voir courir la seconde et la troisième épreuve. Chacun sait, de source certaine, que les champions en vue, ayant pris la mesure de leurs adversaires, demeureront sur la réserve. L’entr’acte permet de lier plus ample connaissance avec les vrais acteurs : j’ai nommé les contrade.

Quoique fort ancienne, l’origine des contra de ne remonte pas à l’âge d’or de la République. On les voit poindre, encore indécises, au déclin du XVe siècle. Elles n’ont aucun lien de famille avec les corporations militaires qui concouraient à la défense de la cité, ainsi qu’on le croyait naguère. Le chevalier Lisini, au moyen des parchemins dont il a la garde, a fait justice de cette légende. Les contrade sont nées de l’amour que les Siennois ont de tout temps professé pour les réjouissances publiques, en vue d’aider la commune à leur assurer un éclat spécial. L’ardeur que la population apportait à la défense de la cité ayant perdu l’occasion de paraître sur les champs de bataille, se donna carrière dans les courses de taureaux, de buffles, d’ânes, de chevaux. Les combats de taureaux ne ressemblaient que de loin aux corridas modernes de Séville et de Madrid ; ils offraient à la jeunesse

  1. Les habitans des contrade.
  2. Deux des contrade de Sienne.