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Le patronat se solde par une contribution annuelle de dix lires. Peu ruineuse pour ceux qui l’accordent, je ne vois pas quelle enrichisse ceux qui en profitent.

Cependant une rumeur retentit au dehors. Un cercle s’était formé autour de jeunes hommes en costume du XVe siècle, portant la livrée de la contrada : orange, rouge et jaune ; pourpoint ajusté, manches à crevés, culottes collantes, toque surmontée d’une plume, bourse et poignard suspendus à la ceinture. Les cheveux bouclés tombaient sur les épaules. C’étaient les pages, au nombre de quatre, tous exactement de la même taille. L’air sérieux du visage, la désinvolture des mouvemens ne permettaient de les assimiler, fût-ce un instant, à des figurans de théâtre.

Tandis que nous les examinions, on avait ouvert la porte de l’église. La Giacinta me fit signe de la suivre et j’allai m’asseoir à ses côtés, sur un banc, près de l’autel. Derrière nous, une bande joyeuse et tapageuse s’était précipitée. « Taisez-vous ! cria ma voisine à la marmaille, et toi, piccina, viens ici ! » La piccina se détacha du groupe devenu silencieux comme par enchantement. Sa silhouette gracieuse se dessinait en vigueur sur la baie ouverte-, pendant que le visage demeurait dans l’ombre. Était-ce une enfant ? Était-ce une jeune fille ? Elle s’approcha du banc et s’arrêta non loin de sa mère. Celle-ci mit naturellement l’entretien sur le Palio, un beau spectacle, mais bien décevant pour les intéressés ! Cette fois la contrada a reçu en partage un bon cheval qui a gagné les principaux essais. Le jockey, lui, a fait ses preuves : c’est le même qui a mené le cheval de la Selva à la victoire, au mois de juillet dernier, le jour de la madone de Provenzano. Mais Dieu seul peut savoir ce qui adviendra. Depuis vingt ans on a en tant de mécomptes. On a eu plusieurs fois en main les « cartes d’or[1], » puis, au dernier moment… et elle secoua la tête avec mélancolie.

« Voyez-vous, poursuit-elle, nos ennemis nous ont joué plus d’un mauvais tour. Il y a plusieurs années, nous avons été trahis par un fantino de Valle d’Arbia. On a voulu l’assommer et chaque l’ois que, pour entrer en ville, il franchissait la porte romaine, il courait risque de sentir le bâton. Il fut encore rossé de main de maître au mois de juin. Aussi, pour rentrer en grâce, nous a-t-il demandé de mouler aujourd’hui notre cheval. C’est un bon

  1. Les atouts, au jeu de la Scopa.