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devisaient à voix basse sur l’événement du jour. Les pièces voisines fourmillaient dépens du peuple riant grassement. Sur les meubles, des fiaschi vides traînaient.

Au son du tambour, devant l’église, les alfieri, dépouillés de leur costume d’apparat, faisaient tournoyer leurs drapeaux, au milieu d’une bande d’enfans. Un peu plus loin, une musique barbare s’était établie sur une petite place, jouant des polkas et des valses, pour le plus grand plaisir des garçons et des filles de la confrada.

« La jeunesse s’amuse, » dis-je à une femme plus ridée que vieille, qui regardait la danse avec une béatitude suprême.

« Vous pouvez le dire, me répond-elle ; on a déjà vidé six tonneaux ce soir ; mon gamin a tant bu qu’il a fallu le courber de force. » Puis, me montrant deux brunelles qui valsent ensemble, faute de cavaliers, et tournoient sur place comme des toupies : « Celles-ci vont danser toute la nuit. Que voulez-vous ? on ne gagne pas le Palio tous les jours. Et puis, nous avons payé assez cher pour être joyeux. Dix mille lires ! c’est quelque chose ! Mais si la contrada ne roule pas sur l’or, l’église est riche, et il y a des protecteurs généreux, et chacun y est allé de sa petite contribution. Voyez-vous, signor, dans notre quartier, on est pauvre, mais on travaille : moi, j’ai deux garçons et cinq filles, et ça marche. Tout le monde est sur pied dès le matin, les filles sont honnêtes ; ce n’est pas comme dans la Torre ! »

« Mais, fis-je, votre cheval n’a eu aucune peine à gagner. »

La Siennoise me regarda en riant de bon cœur de ma naïveté. Avec des mines comiques et en baissant la voix, elle m’avoue qu’on a compté sept cents lires au jockey du Montone pour qu’il arrête sa monture. Un moment on a craint que le fantino de la contrada ait également été acheté. La partie adverse lui avait offert la forte somme, mais il n’a pas voulu brûler la Lupa, me dit la commère. Et elle me parle du repas qui aura lieu d’ici à un mois pour célébrer la victoire d’aujourd’hui, d’est dans cette rue en pente où nous sommes que sera dressée la table de plus de cent couverts. Le cheval figurera parmi les invités et, si je désire assister au banquet, on sera enchanté de m’accueillir.

J’en sais désormais assez sur les dessous de la course. Profilant du retour des danseuses, je m’esquive mélancoliquement. Pauvre Montone !