Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

votre talent, J’approuve également de toutes mes forces votre mansuétude devant des attaques qui ont tellement dépassé la mesure des représailles permises. La condition des situations isolées, comme est la vôtre dans la Chambre, et comme elle doit rester, c’est la sérénité. L’avenir fera voir que votre politique n’a pas la courte échéance que lui prête en ce moment le dégoûtant concert de la majorité et de l’opposition. Comment, du reste, toute cette cohue pressée de jouir admettrait-elle les vues honnêtes et les vues longues ? A vous. »

Gambetta aussi me demeura fidèle. Thiers dit tout haut : « On a été indigne envers Ollivier ; avec une âme moins bien trempée, il se serait déjà jeté de l’autre côté, mais je suis sûr qu’il n’en fera rien et il restera où il est. » Le docte et judicieux Deroisin, qui m’avait fourni des documens pour mon rapport et aidé à en corriger les épreuves avec de très utiles indications, ne désavoua pas le concours qu’il m’avait donné. Je trouvai aussi un défenseur des plus fermes dans un jeune avocat d’une haute valeur, Philis. Il avait débuté avec un éclat exceptionnel : on avait rarement vu un jeune homme arriver du premier coup à une telle solidité et à une telle splendeur de parole. Il était appelé à occuper une des premières places au barreau, quand une maladie de larynx l’obligea à renoncer à peu près à la plaidoirie. À cette époque, il n’avait pas été obligé encore à ce renoncement ; il me défendit partout avec zèle ; et il y eut du mérite, car le déchaînement contre moi fut presque général : les impérialistes, qui avaient subi la loi et qui voyaient avec inquiétude mon rapprochement avec Morny, ne me défendaient pas ou me raillaient ; les hommes d’opposition me déchiraient ; il n’était question que de ma défection ; j’étais accablé de lettres d’injures ; l’une d’elles me disait : « Et alors Judas prit les sept deniers et alla se pendre. » On propageait ces vers :


Il (Girardin) vend des terrains à Marseille ;
A Compiègne, il vend l’olivier.


« Je souffris ce qu’ont souffert en tout temps les gens de bien qui se sont retirés des intrigues et des partis tout faits[1]. » Ma sérénité n’en fut pas troublée, et, dois-je le dire ? j’éprouvai un véritable soulagement de n’être plus enchaîné par des liens de

  1. Lacordaire à Mme Swetchine, 17 mai 1942.