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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/39

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parti à une opposition qui ne pouvait se décider à être loyalement constitutionnelle. Je me redis complaisamment les vers de mon poète, Dante : « Il te sera beau d’être resté seul à part. »


 ::… a te fia bello
Averti fatta parte per te stesso.


XI

La faiblesse de Picard avait facilité le complot dont Jules Favre avait assuré le succès, mais Jules Simon l’avait ourdi. « Il a été le grand artisan de ma rupture avec la gauche[1]. » De même que Jules Favre était un prodigieux rhéteur, Jules Simon était un étourdissant comédien ; il l’était toujours et partout : dans la conversation, il usait des petits artifices qui charment ; dans les discours, des grands qui subjuguent. Son art était si achevé qu’on ne l’eut pas soupçonné, si l’on n’avait été mis en garde par un timbre de voix indiscrètement félin : une voix révélatrice, disait Gambetta. Les coquettes, dit-on, parviennent même à rougir ou à pâlir à volonté, elles n’ont pas encore découvert le moyen de farder leur voix. Diderot, dans son Paradoxe sur le comédien, soutient qu’on n’émeut que si l’on n’est pas ému. Jules Simon en est une preuve ; personne n’a fait répandre plus de larmes et n’a eu lecteur moins larmoyant ; non qu’il l’eût de pierre, il l’avait de bois, du bois mélodieux d’une planche d’harmonie. Véritablement philosophe par l’étendue de la compréhension et la hauteur de l’esprit, il ne l’était pas par le caractère.

Si l’être moral eût égalé en lui l’être intellectuel, au lieu de rester toute sa vie cloué au second échelon, se dédommageant de n’être pas au premier en tentant de faire choir qui était en train de le gravir, il fût devenu un des dominateurs des événemens. Sa culture, sa distinction l’éloignaient du parti révolutionnaire ; il s’y jeta par ambition. Il en a été longuement puni : du jour où il sortit de sa voie naturelle par la campagne contre la loi des coalitions, pour descendre encore plus bas sur la pente démagogique et inaugurer, nous le verrous bientôt, la politique radicale, il a été condamné à se consumer eu mobilités et en contradictions impuissantes. Il a toujours conservé le prestige intellectuel que lui assuraient ses dons supérieurs, il n’a jamais obtenu

  1. Pessard, Mes petits Papiers, 121.