indifférente[1]. » — Mais, outre que tous nos actes, bien considérés, finissent par avoir des répercussions sociales, M. Belfort Bax, avec la plupart des socialistes, méconnaît cette vérité, que la moralité n’est pas seulement sociale, qu’elle est universelle, et que son universalité même est fondée sur la valeur de tous les éléments constitutifs de la personne individuelle : raison, volonté-, sensibilité et pouvoir d’aimer. Le socialisme parle sans cesse de développer « une conscience de classe ; » c’est la conscience humaine que le vrai socialisme devrait développer en dehors et au-dessus de toutes les classes ; bien plus, c’est la conscience universelle et plus qu’humaine. « Le sentiment du devoir, dit M. Belfort Bax, est le sentiment explicite ou implicite de l’inaptitude de l’individu et de ses intérêts à lui servir de but. » C’est là une belle définition, où l’on reconnaît l’influence de la philosophie idéaliste. Mais, selon nous, il faut ajouter : le sentiment du devoir est le sentiment de l’inaptitude de la société humaine et de ses intérêts à nous servir de but unique.
Et, ici, nous sommes, heureux d’avoir le témoignage d’un des maîtres du socialisme contemporain, celui même qui, tout à l’heure, voulait ériger le prolétariat en représentant de l’humanité. « Je ne crois pas du tout, a dit M. Jaurès, que la vie naturelle et sociale suffise à l’homme. Dès qu’il aura, dans l’ordre social, réalisé la justice, il s’apercevra qu’il lui reste un vide immense à remplir[2]. » C’est ce vide que la morale a précisément pour objet de changer en plénitude. La morale commence, à vrai dire, au moment où nous traitons les formes sociales et obligations sociales non comme de purs artifices humains pour maintenir les hommes ensemble, non comme de purs palliatifs de la passion ou des serviteurs de l’intérêt économique, mais comme des moyens pour la personne intelligente et aimante d’atteindre un niveau supérieur. La société devient alors la loi de la vie personnelle la plus élevée ; elle est le produit et la condition de la vraie vie, non « un pur mécanisme pour faciliter l’accomplissement de la vie plus basse : » celle du « ventre, » comme disent les disciples de Marx[3]. Dès lors, le jugement moral ne considère plus seulement les conséquences sociales des actions humaines ; il considère encore leurs principes ou sources dans l’individu, dans son caractère propre,