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partie de la rade actuelle, qui s’étend de Cézembre à Paramé, et dont la largeur est de près de cinq kilomètres, était alors une plaine émergée et même boisée. Aujourd’hui encore, lorsque, au moment des basses mers de vive-eau, le flot se retire à plus de 800 mètres, on trouve sous la vase des troncs d’arbres enlizés et des débris végétaux noircis et réduits à l’état de tourbe. D’après quelques traditions locales, on allait encore à pied sec à Cézembre, en basses marées, à la fin du XVe siècle. On a conservé des contrats de location et des marchés de chasse dans les bois qui l’entouraient à cette époque ; et les noms des Herbiers et des Jardins semblent bien indiquer, en effet, que le pays, presque entièrement noyé aujourd’hui et dont les nombreux îlots ne présentent qu’une agglomération d’aspérités rocheuses, de falaises isolées à vives arêtes, de petits plateaux nus et stériles, était autrefois un territoire continu, recouvert d’une assez riche végétation.

L’envahissement de la mer est encore bien plus remarquable dans la grande baie du Mont Saint-Michel. Tous les artistes, tous les voyageurs, tous les antiquaires, tous les géologues connaissent l’étonnante pyramide de granit, isolée dans cet immense désert de sable mouvant, et qui découpe à plus de 120 mètres de hauteur les puissans contreforts et la flèche élégante et finement ajourée de son église gothique. Nous ne saurions en donner ici une description même sommaire. L’enceinte crénelée et tourelée qui enlace la montagne d’une triple spirale, le noir entassement de constructions qui escaladent ses pentes en se serrant de la base au sommet, la célèbre abbaye qui la domine et qu’on a si bien appelée « la Merveille, » « roc sur roc, siècle sur siècle, cachot sur cachot, comme on l’a répété si souvent, à la fois cloître, forteresse et prison, » est tout un monde de sombres souvenirs, et reste un incomparable sujet d’études pour l’archéologue, l’historien et le savant

Il est d’ailleurs bien difficile de dire si, à l’époque de la construction de l’abbaye, le Mont Saint-Michel était, comme de nos jours, complètement entouré d’eau à toutes les marées montantes. D’après la légende courante, qu’on retrouve un peu partout dans les vieilles histoires de Bretagne et de Normandie, c’est au VIIIe siècle que saint Hubert, évêque d’Avranches, aurait été favorisé d’une apparition de l’archange saint Michel, qui aurait laissé l’empreinte de son pied sur le Mont-Dol, empreinte