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le mal. On exigerait, dès que le nombre des ouvriers employés excédera cinquante, que toute grève soit soumise au vote de la majorité au scrutin secret, vote qui devra être renouvelé tous les sept jours. Après ce vote, la grève serait obligatoire, même pour ceux qui y ont été contraires ; toutefois, aussitôt déclarée, elle serait obligatoirement déférée à un arbitrage.

Quelque louables que soient les intentions de ce projet, il ne tiendra pas ce qu’on en espère. Il soulève d’abord une grave objection juridique : les deux obligations qu’on crée, il est vrai, ne seront imposées qu’à ceux qui les auront acceptées par un contrat formel ; mais le contrat sera imposé à toutes les entreprises en rapport avec l’Etat, les départemens et les communes, et, si les autres ne l’adoptent pas volontairement, une nouvelle loi ne tardera pas à les y contraindre. Or, il est contraire aux principes du droit d’imposer à quelqu’un, surtout quand il est dans une position dépendante, un engagement en vue d’une éventualité future dont il ne peut calculer les conséquences. Ainsi, il est défendu de stipuler sur les successions non ouvertes, et, en droit romain, la femme, autorisée à vendre, ne l’était pas à hypothéquer, parce qu’en hypothéquant, elle ne se rendait pas bien compte de l’expropriation à laquelle elle s’exposait. Enfin, et ceci est l’argument capital, le travail est une propriété inviolable dont on ne peut être privé, comme d’une propriété quelconque, que d’un libre consentement ou à la suite d’une expropriation moyennant indemnité préalable. Le vote d’une majorité quelconque n’a aucune autorité pour en dépouiller.

Mais qui, aujourd’hui, se soucie des principes ? C’est au point de vue pratique des résultats que la loi me paraît surtout critiquable. Décréter est aisé, le difficile est de faire exécuter. On punira d’une amende et de prison ceux qui, par voies de fait, violences, menaces, dons ou promesses, auront influencé le vote des ouvriers sur la grève : ceci peut être efficace. On punira d’une amende légère et d’une prison pouvant, en cas de récidive, aller à un mois quiconque aura mis obstacle à l’accomplissement de l’arbitrage : ceci devient déjà moins sérieux. Ce qui ne l’est plus du tout, c’est la peine prononcée contre ceux qui ne voudront pas se soumettre à la grève et à l’arbitrage obligatoires : elle consistera uniquement dans l’interdiction pendant trois ou six ans du droit d’être électeur et éligible dans les divers scrutins relatifs à la représentation du travail. L’ouvrier qui