aura voté contre la grève et qui, pressé par la misère, voudra néanmoins reprendre le travail, les fauteurs passionnés d’une grève subversive, se moqueront de cette pénalité platonique et passeront outre. La seule manière de rendre obligatoire la grève votée serait de laisser assommer les réfractaires ou de les punir d’une peine de prison ou d’amende. La seule manière d’obtenir le respect de la sentence de l’arbitrage obligatoire serait de déclarer illicite et punissable toute grève qui ne s’y conformerait pas, et de revenir ainsi à la distinction du Conseil d’Etat impérial, que j’avais fait repousser en 1864, entre les grèves légitimes et celles qui ne le sont pas, en constituant un tribunal des salaires chargé de prononcer sur leur légitimité.
On aura beau tourner et retourner la question des grèves, elle n’a que deux solutions : ou leur interdiction radicale, comme dans les lois de la Révolution et le Code pénal de 1810, ou leur liberté complète, comme dans la loi de 1864. On ne peut songer à l’interdiction ; il ne reste qu’à se confier à la liberté. Là, comme partout, elle fera son œuvre bienfaisante beaucoup plus qu’un obligatoire plus ou moins combiné, à la seule condition qu’on ne permette pas à la liberté des uns de supprimer celle des autres, et que la liberté de tous soit énergiquement sauvegardée. Laissons la coalition libre, pourvu qu’elle soit volontaire : une coalition obligatoire serait une monstruosité. La coalition ne sera véritablement libre que si on applique rigoureusement l’article 414, si on rétablit l’article 416, et si on empêche les grévistes de se poster à l’entrée des ateliers désertés ou sur les routes y conduisant pour en fermer l’accès, par l’intimidation, à leurs camarades disposés à continuer le travail. Le gouvernement doit, lui aussi, s’abstenir de toute ingérence, même à titre de conciliateur, car une intervention quelconque de sa part est, quoi qu’il dise, considérée comme un encouragement : son rôle est de rester le gardien impassible de l’ordre, se contentant d’assurer par ses ressources les services publics compromis. Il a non moins à se défendre d’énerver la répression par des grâces hâtives : il vaudrait mieux, en pareille matière, pécher par excès de rigueur que par mollesse. Toute liberté qui n’est pas contenue par une sévère responsabilité est la forme la plus odieuse de la servitude publique.
EMILE OLLIVIER.