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qui isolait l’île de Jersey de la côte et les larges chenaux qui séparent l’île de Guernesey de celle de Jersey et celle-ci du plateau des Minquiers et de l’archipel de Chausey sont de temps à autre traversés par des courans alternatifs qui changent brusquement de direction, se brisent contre de longues traînées de récifs sous-marins qu’ils couvrent d’écume, et atteignent quelquefois des vitesses aussi grandes que celles du Raz-Blanchard. Le nom donné à ces parages, — passage de la Déroute, — exprime bien d’ailleurs la détresse des navires qui s’y trouvent engagés par une erreur de route ou une manœuvre imprudente ; et, si le temps n’est pas tout à fait au calme, des marins expérimentés doivent seuls affronter cette zone perfide semée d’écueils cachés et d’îlots rocheux, où une brusque saute de vent peut amener un naufrage sans grande chance de secours en temps utile.

Le groupe des îles normandes comprend aujourd’hui les îles d’Aurigny, l’île de Guernesey, l’île de Serk et l’île de Jersey, toutes appartenant à l’Angleterre ; on doit y joindre le petit archipel de Chausey et le groupe des écueils voisins désigné sous le nom de plateau des Minquiers.

Ces îles étaient aussi bien connues des anciens que de nous ; et l’Itinéraire maritime d’Antonin, qui nous reporte au IVe siècle, les mentionne presque toutes. Aurigny était Riduna ; Guernesey était Sarma ou Sarnia ; Jersey, la plus riche et probablement la capitale de tout l’archipel, portait le nom d’insula Cæsarea. On peut aussi identifier le plateau des Minquiers avec Barsa, et Lina avec le petit archipel des îles Chausey. Sur quelques-uns de leurs petits plateaux granitiques et gracieusement ondulés, à Jersey surtout, sur les corniches de leurs falaises pittoresques, au milieu de vertes prairies et de jardins étincelans de fleurs, on trouve encore de distance en distance de nombreux souvenirs des populations primitives qui les ont occupées ; — monumens mégalithiques, pierres branlantes, menhirs, dolmens, allées couvertes, poteries renfermant des cendres, quelques ruines de l’époque romaine, des fragmens de mosaïque, des armes, des monnaies. Tout porte donc à croire qu’elles étaient assez peuplées avant l’origine de notre ère et qu’elles ont continué à l’être après la conquête. Elles étaient d’ailleurs particulièrement bien situées pour servir d’escale et de relâche à tous les navires phéniciens qui, à la sortie du détroit de Gadès, longeaient les côtes de l’Ibérie et de la Gaule et se dirigeaient vers les îles Cassitérides,