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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/448

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béton par-dessus, jusqu’en haut ; le couronnement, enfin, devait être en pierres de granit taillées et maçonnées. Le projet comportait l’échouage de 90 cônes, qui auraient été juxtaposés à côté les uns des autres, tangens à leurs bases et formant par conséquent un môle discontinu et à claire-voie. Ces singuliers pylônes devaient, dans la pensée de leur inventeur, fonctionner comme des brise-lames ; et les vides qui les séparaient au niveau de l’eau devaient être reliés par des chaînes en fer destinées à empêcher le passage des barques.

Le montage, la mise à flot, la remorque et l’échouage de ces pièces colossales étaient de véritables événemens, des solennités même qu’on accompagnait quelquefois de réjouissances publiques. Le premier cône fut construit au Havre, puis démonté, expédié non sans peine à Cherbourg par des chalands où on le remonta dans l’anse de Chantereyne en présence d’une foule transportée de joie. Tous les autres furent construits sur la plage voisine, ce qui était plus pratique. On les faisait flotter au moyen d’une ceinture de tonneaux vides ; on les remorquait jusqu’à la place qu’ils devaient occuper ; et on profitait d’une série de beaux jours et d’une mer calme pour les remplir fiévreusement de blocs et hâter leur échouage.

Ces opérations souvent très laborieuses furent pendant quelque temps la principale « attraction » du jour. On accourait à Cherbourg de tous les points de la France et aussi de l’étranger. On y trouvait réunis pendant des semaines entières la cour et la ville. Les princes, le roi en personne, y vinrent en grande pompe ; et le bon Louis XVI gardait même un peu naïvement à Versailles le modèle d’un de ces fameux cônes qui l’avaient particulièrement séduit et tapissait de ses dessins les murs de son cabinet.

L’enthousiasme était général, mais on dut bientôt en rabattre. Les gros temps de l’hiver ne tardèrent pas à secouer ces formidables machines ; et les moellons, au lieu de se tasser à l’intérieur, étaient quelquefois secoués comme du grain dans un van. Le forage silencieux des tarets accomplissait ensuite lentement son œuvre de désagrégation, et des millions de vers de mer acharnés après la charpente la percèrent bientôt de trous. La mer enfin, l’implacable mer bouleversait périodiquement les chantiers, et chaque tempête occasionnait des avaries désespérantes. Une vingtaine de cônes seulement purent être échoués ;