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que, sur le même tracé, au lieu d’enraciner deux digues à la côte, présentant entre elles une ouverture pour permettre l’entrée et la sortie de la rade par le milieu, on construirait une seule digue isolée dans l’alignement de la pointe de Querqueville à l’île Pelée, laissant deux passes entre chacune de ses extrémités et la terre, l’une à l’Ouest, l’autre à l’Est. C’est la digue qui existe aujourd’hui.

Mais la construction d’un pareil ouvrage était à cette époque une nouveauté, presque une aventure. Il fallut arrêter, inventer presque le mode d’exécution des travaux ; et c’est alors que commencèrent les difficultés, les mécomptes et même les dangers. La France entière et une partie de l’Europe avaient les yeux sur le projet colossal de cette digue, dont le système de fondation à une profondeur de près de 20 mètres, dans une mer souvent tumultueuse, surexcita beaucoup l’imagination des hommes de l’art. On songea naturellement tout d’abord au vieux procédé antique, le coulage de carcasses de navires remplis de moellons bruts. On espérait, après avoir ainsi échoué une flotte entière, constituer une sorte de noyau résistant que l’on aurait recouvert de pierres perdues au-dessus desquelles on aurait pu exécuter des maçonneries. Mais les carcasses des navires furent bientôt démolies, les moellons dispersés, et on n’obtint qu’un résultat insignifiant.

C’est alors qu’on imagina de construire la digue par fragmens, atteignant tout de suite toute sa hauteur au moyen d’une série de grands cônes tronqués, en charpente, dont les bases seulement se seraient touchées au fond de l’eau et qui auraient laissé entre eux une série de vides. Cette curieuse conception fut élaborée par l’ingénieur en chef de la généralité de Rouen, M. de Cessart, déjà célèbre par la construction du pont de Tours, qui avait présenté d’assez sérieuses difficultés, et dont la solidité, disait-on, devait être à toute épreuve puisqu’il avait pu supporter sans se rompre le passage du convoi de Mme du Barry, « qui était certainement le plus grand fardeau de l’époque. » Le pont de Tours donnait une grande autorité à M. de Cessart, et on se mit résolument à l’œuvre.

Ces fameux cônes étaient d’énormes coffres en charpente d’une hauteur moyenne de 20 mètres, présentant un diamètre de 45 mètres à la base et de 20 mètres au sommet. Ils devaient être remplis de moellons jusqu’au niveau des basses mers, de