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courages ; et on doit conserver entre tous le nom du modeste ingénieur qui surveilla en sous-ordre pendant dix ans, de 1843 à 1853, dans la seconde période de la construction, les travaux de la digue partout émergée et battue par les vagues, et y resta fixé plus de cinq ans, jour et nuit, ne remettant les pieds à Cherbourg que lorsque le grand ouvrage fut complètement terminé. C’était à la vérité l’époque héroïque des Ponts et Chaussées ; et cet acte digne des temps antiques, un peu oublié peut-être aujourd’hui, nous paraît devoir être rappelé[1].

La digue de Cherbourg, définitivement terminée en 1853, peut être considérée comme une des plus grandes œuvres du génie moderne ; comme puissance et dimensions, elle n’a pas été dépassée. C’est une île factice formant une sorte de monolithe pesant plus de 200 tonnes par mètre courant, couronné d’une plate-forme de granit que la morsure de la mer ne peut plus entamer et sur laquelle les galets projetés par les vagues glissent sans s’arrêter et retombent au pied qu’ils consolident.

La digue n’éprouve plus, même pendant les grosses tempêtes, que quelques tressaillemens à peine sensibles ; et, grâce au renouvellement régulier des blocs de défense échoués sur sa face extérieure, on n’a pas à craindre de longtemps d’avaries sérieuses. Sentinelle audacieusement avancée en face de l’Angleterre, elle peut recevoir et défendre les flottes qui viendront y chercher un asile, et elle protège efficacement la ligne de nos côtes en retrait de la Bretagne et de la Normandie, qui ne présentait qu’un petit nombre d’abris naturels. Elle est fondée par des profondeurs moyennes de 12 à 13 mètres au-dessous des plus basses eaux, de 20 mètres par conséquent au-dessous des plus hautes mers d’équinoxe. Elle a 3 700 mètres environ de longueur à la base, 3 550 mètres à son couronnement ; c’est à peu près la distance de la cour du Louvre à l’Arc de triomphe de l’Étoile. Orientée presque exactement de l’Est à l’Ouest, elle présente deux alignemens formant un angle très obtus de 170 degrés. Au centre et à ses deux extrémités sont disposés des forts casemates dont les feux battent la pleine mer. Les coteaux qui dominent la rade sont en outre littéralement couverts de batteries. Le port militaire, situé un peu au-dessous de la pointe du Homet, se compose de trois grands bassins creusés dans le

  1. Bonnin, Travaux d’achèvement de la digue de Cherbourg de 1830 à 1853. Paris, 1857.