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Notez que le public est aussi variable dans sa composition que mobile dans ses allures. Il se forme à propos et autour d’une question : il groupe des personnes qui d’ailleurs n’avaient peut-être entre elles aucun point en commun ; il s’étend non pas seulement aux habitans d’une même région, aux citoyens d’un même pays, mais il passe les frontières et devient international. Son unité factice, sa cohésion passagère est faite de l’inspiration de quelques meneurs. Cette unité a tôt fait de se dissoudre, et le public se modifie, se désagrège, se transforme ou se reforme, avec d’autres élémens. Le résultat est de rendre instable, compliquée et mouvante la vie des peuples d’aujourd’hui. Tandis que jadis les partis nettement tranchés pouvaient traverser les siècles en restant semblables à eux-mêmes et continuer de s’opposer ou de se faire équilibre, nous voyons aujourd’hui surgir tout d’un coup des partis nouveaux qu’il faut nous hâter de saluer, car nous ne les reverrons plus. Tandis que jadis la tradition fournissait à l’activité d’une nation un cadre, souple d’ailleurs et qui pouvait lui-même évoluer, le public met sa vanité à se former une opinion qui sorte des voies traditionnelles. Et de là viennent tant de surprises de la politique d’aujourd’hui. De là vient que, d’un bout à l’autre du monde civilisé, on voit les peuples s’échapper pour ainsi dire de leur propre histoire, renier l’œuvre pour laquelle ils ont accumulé les efforts de tant de générations, et suivre, affolés, les sautes d’un vent qui souffle on ne sait d’où.

Une science n’est définitivement constituée qu’autant qu’on en peut tirer des enseignemens. Savoir n’est rien s’il ne sert à prévoir. Aussi les initiateurs de la psychologie collective ne manquent-ils pas à déduire de leur science des pronostics pour l’avenir des peuples. Ces pronostics sont des plus rassurans. « On peut affirmer, écrit M. Tarde, que l’avenir est à une conversation tranquille et douce, pleine de courtoisie et d’aménité. » On ne s’en douterait guère ! mais, puisque M. Tarde l’affirme, il faut le croire ; nous voudrions seulement que cet avenir ne fût pas trop éloigné, afin d’en pouvoir du moins saluer l’aube. Avec le même optimisme, M. Tarde attend beaucoup des bienfaits de la presse. « J’incline à croire que les profondes transformations sociales que nous devons à la presse se sont faites dans le sens de l’union et de la pacification finales. » Nous le souhaitons avec lui ; mais avec lui nous n’attachons à ces hypothèses pas plus de valeur qu’elles n’en ont. Ce qui a plus de signification, c’est de voir à qui revient, depuis que le public et l’opinion occupent la scène, le gouvernement du monde.