sa traduction positive, le suffrage universel, substituant le Nombre à l’unité, changent de fond en comble les conditions de l’État : mais, en même temps et du même train, sinon un peu plus vile, que s’accomplissent à la fois ce bouleversement de la matière et ce renversement du pouvoir, c’est comme un renversement, comme un bouleversement de l’esprit.
Entre 1750 et 1848, le Travail passe de la fabrique à l’usine, et l’État glisse du roi au Nombre en trois étapes bien marquées : avant 1789 ; de 1789 à 1848 ; après 1848 : dans les faits, la coupure est nette ; mais elle ne l’est pas moins dans les idées. En effet, jusqu’en 1789, et pendant toute la Révolution française, il ne s’agit que de démolir l’ancien État et de détruire l’ancienne société, de promener sur leurs ruines le niveau et l’équerre : tout le monde libre, on le dit, mais tout le monde égal surtout, et surtout, plus de noblesse, voilà le point, voilà le fond de la philosophie politique. De 1789 à 1848, l’État ancien étant démoli et l’ancienne société détruite, pour qu’ils ne renaissent pas et ne repoussent pas, on proclame la déchéance du système féodal ou militaire et l’avènement du système industriel, sans distinguer d’ailleurs, dans le premier moment, entre l’entrepreneur, le patron, ou le capitaliste même, et l’ouvrier : tous ensemble formant la classe industrielle, que l’on opposait en bloc à l’autre, à celle qu’on ne voulait pas voir revivre, la classe, la caste féodale : on prêche la richesse, le commerce, on chante la Bourgeoisie sous le nom d’Industrie. Mais peu à peu voici que dans l’Industrie l’ouvrier et sous la Bourgeoisie le Peuple se lèvent, qu’ils se détachent du reste, qu’on les en sépare, qu’on les lui oppose : à la théorie de l’État bourgeois se substitue la théorie de l’État populaire, de l’État ouvrier ; c’est-à-dire de l’État fait non plus pour un, ni pour quelques-uns, non plus pour tous, mais pour le Nombre ; non plus pour la naissance, ni pour la propriété, mais pour le Travail.
Ici encore et à cette fin deux courans se réunissent, deux mouvemens convergent, venus, en quelque sorte, l’un du dedans, l’autre du dehors. Durant les deux premières périodes de cette révolution séculaire, ce sont des nobles et des bourgeois qui s’en instituent les propagateurs : des nobles qui, en 1789, font le pont à la bourgeoisie, des bourgeois qui, en 1830, font le pont au peuple ; et là aussi il y a comme un glissement. Ce n’est guère qu’aux environs de 1848, au plus, tôt aux environs de 1840,