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luxe : car il n’est fondé que sur les commodités qu’on se donne par le travail des autres[1]. » Plus donc il y aura de luxe, plus il y aura d’inégalité dans l’Etat, et plus l’inégalité tournera à l’injustice, car plus le luxe des uns sera fait de l’abus du travail des autres. Et c’est, en termes réservés, la thèse de « l’exploitation de l’homme par l’homme. »

Avoir fourni ceci, et le principe du droit de travailler, et celui du droit au travail, et celui du droit à l’assistance, aux novateurs en quête de maximes, n’est certes pas n’avoir rien donné, ou n’avoir donné que peu, n’avoir apporté qu’une petite contribution au mouvement des idées dans le domaine social ; et en vérité, si désormais elles y sont en mouvement, et prennent cette direction, là peut-être, chez Montesquieu, est le primwn movens, et de lui vient la chiquenaude initiale.

Mais, l’année même où il mourait, et avant que fût épuisé le prodigieux succès de l’Esprit des Lois, paraissait, sans nom d’auteur, un livre dont le titre complet, — long et explicatif suivant la mode du jour, — était : le Code de la Nature ou le véritable Esprit de ses lois de tout temps négligé ou méconnu[2]. que l’ardent et violent éclat du style fit attribuer à Diderot, et qui était d’un personnage de qui, maintenant encore, on ne sait guère que son nom : Morelly, avec le lieu et vaguement la date de sa naissance : Vitry-le-François, vers la fin du règne de Louis XIV[3]. Quelle loi édictait-il, ce Code de la Nature, et quel principe l’inspirait ? Du fond de la solitude où l’obscur Morelly Fallait chercher, la bonne Nature disait ce qu’elle eût dû, depuis les premiers âges, être lasse de répéter, à savoir que, laissée à elle-même, elle serait parfaite, et que, laissé à lui-même, l’homme aussi serait parfait dans la nature parfaite ; que les législateurs et autres fabricateurs et exploiteurs des sociétés avaient fait tout le mal ; que la cupidité, en effet, était le vice des vices ; mais que nul ne fût devenu avare, si nul n’eût pu devenir propriétaire. De l’univers qu’elle empoisonne, on chasserait donc « la

  1. Esprit des Lois, liv. VII, ch. Ier, Du luxe.
  2. 1755 et 1760.
  3. Benoît Malon, dans le Socialisme intégral (1890). t. Ier, p. 124, le qualifie pourtant d’ « humble instituteur » : « sa vie est restée inconnue », dit le Nouveau Dictionnaire d’Economie politique. Avant le Code de la Nature, Morelly avait publié un Essai sur l’esprit humain, 1743 ; un Essai sur le cœur humain, 1745 : le Prince ou Traité des qualités d’un grand roi, et le Système d’un sage gouvernement, 1751 ; le Naufrage des îles flottantes ou la Basiliade, 1753.