et les roturiers. » C’est entre l’aristocratie et la démocratie représentée par la bourgeoisie plutôt qu’existant d’une existence propre que, jusqu’ici, l’on a vu et dénoncé l’antagonisme ; entre les industriels et les non-industriels, entre les producteurs et les non-producteurs[1] ; nullement entre les patrons et les ouvriers, ni entre le patronat et le prolétariat, car on commence dès lors à dire « le patronat » et « le prolétariat. » Mais dès lors commence à s’accuser cette transformation psychologique de l’ouvrier qui est une des conséquences les plus importantes de la révolution économique et sera l’un des facteurs les plus puissans de la révolution politique.
La concentration du travail dans l’usine et des travailleurs autour de l’usine fait que la souffrance réelle, tout en étant moins grande peut-être, pèse bien plus lourdement ; et, à la souffrance réelle plus pesante, l’instruction de plus en plus répandue vient encore ajouter comme une « sur-souffrance. » Ceux-là en effet souffrent davantage et sont plus cruellement blessés qui errent en quelque sorte ballottés entre les deux classes, renvoyés de l’un à l’autre, sans tenir ni appartenir à aucune, plus près du patronat par l’instruction, plus près du prolétariat par l’indigence, déclassés, inclassables. « Il faut être aveugle pour ne pas voir que la classe la plus malheureuse, c’est celle des hommes sans fortune, mais dégrossis et raffinés par une éducation qui a élargi leur esprit et leur cœur, qui les a initiés aux jouissances de l’opulence, qui a évoqué en eux des besoins ardens, une ambition dévorante ;… pour ceux-là, la vie n’est qu’une amère déception ; elle s’égare souvent dans l’abjection et se termine par le suicide[2]… » — A moins qu’elle ne s’égare dans la révolte, en attendant, lorsque l’Etat sera livré au Nombre, qu’elle se termine par la politique ! Ces déclassés sont comme le ferment qui va
- ↑ Dans le Producteur (1825-1826). Enfantin cite néanmoins comme le plus important des antagonismes l’opposition entre ceux qui vivent de leur travail et ceux qui vivent du produit du travail d’autrui. Et cela signifie encore, signifie surtout : « les travailleurs et les oisifs. » Mais, dans les mêmes articles, on trouve déjà cette idée que la « rente foncière et le profit du capital sont un impôt que les ouvriers doivent payer aux propriétaires oisifs des fonds de terre et des capitaux pour que ceux-ci mettent à leur disposition les moyens de production. » Producteur, t. I, p. 243. t. II, p. 411 ; Cf. Anton Menger. ouv. cit., p. 93. Ainsi les propriétaires et capitalistes sont déjà en train de devenir « les oisifs, » et les seuls ouvriers d’être considérés comme « les travailleurs. »
- ↑ V. Considérant, Destinée sociale, p. 241. Cf. Sismondi, Etudes sur les sciences sociales, t. III, p. 256.