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rester ouverts pendant près de trois heures aux approches de la haute mer sans que leur niveau éprouve une variation de plus de 30 centimètres ; et tous les marins savent qu’il faut à peu près une heure à Dieppe pour gagner ou perdre une tranche d’eau de 20 centimètres et que la même dénivellation ne se produit au Havre qu’après plus de 150 minutes. Pour un navire en rade et qui attend, une marée du Havre en vaut donc deux de celles de Dieppe ; et c’est, comme on l'a si bien dit, dans de pareilles circonstances que le temps vaut réellement de l’argent.

La prolongation de la durée de l’étale et le voisinage de Rouen et de Paris sont en réalité les deux principales raisons de la grande fortune du Havre.


II

A la base du Cotentin, la côte dessine un angle rentrant très prononcé ; c’est le golfe des Veys, au fond duquel débouchent quatre rivières : à l’Ouest, la Douve et la Taute ; à l’Est, la Vire et l’Aure. Les deux premières, réunies à l’aval de l’écluse maritime du Haut-Dick, forment le chenal de Carentan ; la Vire et l’Aure mêlent aussi leurs eaux et deviennent le chenal d’Isigny. Le golfe est limité à l’Est par les rochers pittoresques de Grand-camp. Entre le chenal d’Isigny et le chenal de Carentan s’avance la pointe insubmersible de Brévands, qui divise le golfe, encombré d’îlots et de bancs vaseux, tour à tour noyés et émergés suivant la marée, en deux compartimens, celui de droite portant naturellement le nom de baie d’Isigny, et celui de gauche, de baie de Carentan. Tout le golfe faisait autrefois partie de la terre ferme. D’immenses dépôts de sable marin y recouvrent des bancs de tourbe, et, en creusant ça et là dans la tangue, on rencontre de nombreux troncs d’arbres fossiles. Tous ces arbres sont couchés dans le même sens du côté de la terre ; et cette inclinaison régulière est une preuve évidente de la double action des vagues qui a affouillé leurs racines et du vent du large qui a poussé leurs branches du Nord au Sud[1]. On n’a pas manqué naturellement, comme pour la fameuse forêt de Scissey, qui entourait le Mont Saint-Michel, de faire intervenir le cataclysme de la marée de l’an 709 ; mais nous avons vu plus haut que cette marée était

  1. J. Girard, les Rivages de la France, 1895.