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M. Aulard se demande si les ailleurs de la Déclaration ont voulu dire que les hommes naissent aussi forts d’esprit et de corps les uns que les autres ; et il répond que « celle niaiserie ne leur a été attribuée que par de mais adversaires. » Les auteurs de la Déclaration n’ont certes pas voulu dire cela ; mais ceux qui l’ont dit, avant ou après, ne sont pas des niais. C’est Helvétius, en son livre de l’Esprit, et tout autant dans son livre de l’Homme, Helvétius, qui soutient sans cesse qu’il n’y a aucune autre inégalité entre les hommes que celle qu’y met l’éducation, et que « l’esprit, le génie et la vertu sont les produits de l’instruction. » C’est Madame Roland, comme vous le lisiez ici même il y a quelque temps, qui croit que « les différences infinies qui se trouvent entre les hommes proviennent presque entièrement de l’éducation. » C’est Proudhon, qui dit formellement : « L’homme, par essence, est égal à l’homme, et si, à l’épreuve, il s’en trouve qui restent en arrière, c’est qu’ils n’ont pas voulu ou su tirer parti de leurs moyens… Si quelque différence se manifeste entre eux, elle provient, non de la pensée créatrice qui leur a donné l’être et la forme, mais des circonstances extérieures sous lesquelles les individualités naissent et se développent. » — Et c’est enfin Babeuf qui, aussi révolté des inégalités naturelles que des inégalités sociales, — et pourquoi donc non ? — écrit avec fermeté : « Celui-là même qui prouverait que, par l’effet de ses forces, il est capable d’en faire autant que quatre, n’en serait pas moins en conspiration contre la société, parce qu’il en ébranlerait l’équilibre par ce seul moyen et détruirait la précieuse égalité. »

M. Aulard se demande encore si, par l’article : « Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi, » les auteurs de la Déclaration ont voulu dire qu’il est souhaitable que les institutions corrigent autant que possible les inégalités naturelles, c’est-à-dire tendent à ramener tous les hommes à un type moyen de force physique et intellectuelle ; et ici, mieux inspiré, il répond : « Cela a été demandé ; mais plus tard, par d’autres. » Oui ; et ces autres sont les babouvistes, sont les Égaux de 1796 ; et c’est Babeuf lui-même, qui écrit sans ambages : « Il faut que les institutions sociales mènent à ce point qu’elles ôtent à tout individu l’espoir de devenir jamais ni plus riche ni plus puissant, ni plus distingué par ses lumières, qu’aucun de ses égaux. »