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révoque l’édit de Nantes, on sait bien, malgré tout, que c’est un coup d’Etat, pour cette seule raison, et c’en est une, que l’Edit date de quatre-vingt-sept ans ; et on le dit. Quand Louis XV brise les Parlemens en 1771, on sait bien que c’est un coup d’Etat, et, qu’on l’en blâme ou qu’on l’en loue, on dit très bien que c’en est un. C’est pour cela seulement que Montesquieu fait cette distinction, que Voltaire s’obstine à ne pas vouloir comprendre, entre la monarchie et le despotisme. Le despotisme, c’est le gouvernement arbitraire ; la monarchie, c’est un gouvernement tempéré par des lois qui ont une certaine stabilité et qui sont entourées d’un certain respect. Voilà les limites, très faibles, mais voilà les limites de la souveraineté royale.

La souveraineté populaire n’en a pas. Elle n’a pas de précédens. Elle est franche et nette de toute hypothèque. Elle est intégrale, Elle a des lois, mais qu’elle fait, non qu’elle a reçues. Ces lois n’ont pas la force de l’ancienneté, ni le prestige de la tradition. Elles sont d’aujourd’hui, peuvent être détruites demain par d’autres, et elles le sont. Une loi n’est une loi que lorsqu’elle est ancienne. Une loi nouvelle n’est qu’un décret. Une loi nouvelle n’est qu’un acte de celui qui est le plus fort. Elle ne le lie pas. Elle est un signe de sa force, non une limitation de sa force, un acte de sa volonté, non une règle de sa volonté, et, donc, loin qu’elle le lie, elle est une manifestation qu’il n’est point lié. La souveraineté populaire, à ses débuts, n’a aucune limite, non pas même celle de la loi.

— Mais elle en aura plus tard. — Il est possible, si elle prend un caractère traditionnel, si elle se respecte dans son passé. Mais pourquoi la tradition est-elle plutôt un caractère de la monarchie et n’est-elle guère un caractère de la démocratie ? Je n’en sais trop rien ; mais c’est un fait. Peut-être parce que la monarchie est une famille, et que la démocratie n’en est pas une. Peut-être faut-il appliquer à la monarchie (relativement, du reste) le raisonnement de Montesquieu sur la magistrature à peu près héréditaire de son temps : « C’est un métier de famille. » Toujours est-il que la démocratie est peu traditionnelle de son naturel, et la Déclaration des droits de 1793, chose assez notable, semble l’y inviter : « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures. » De sorte que la souveraineté du peuple, en soi sans limites, par l’exemple de la souveraineté