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précisément ce que M. Aulard a fait ; car vous voyez bien qu’il a délibérément jeté par-dessus bord les trois quarts des Déclarations, pour ne retenir que ces deux principes vraiment révolutionnaires, contenant tout l’esprit permanent, viable et destiné à durer, de la Révolution : l’égalité, la souveraineté nationale.

Ce qu’il eût fallu ensuite, c’est montrer que ce qui, dans les deux Déclarations, est en dehors de ces deux idées d’égalité et de souveraineté nationale, à savoir liberté, sûreté, propriété, garanties constitutionnelles, résistance à l’oppression, sont les véritables droits de l’homme, sont des droits sans force, que le pouvoir constitué reconnaît à l’individu pour s’empêcher soi-même de les violer ou de les enfreindre, sont les limites qu’il impose lui-même à sa toute-puissance, pour respecter l’individu, ou tout simplement pour qu’il y ait autre chose dans le pays que le gouvernement, ce qui est peut-être bon.

Il fallait montrer enfin que ces deux principes : égalité et souveraineté populaire, inscrits dans les Droits de l’homme, et qui ne sont pas du tout des droits de l’homme, étaient destinés, en se développant et en s’appliquant, à serrer les véritables droits de l’homme comme dans un étau et à les écraser progressivement avec une sûreté mathématique, de sorte qu’ils semblent avoir été inscrits dans les Droits de l’homme comme auprès de leurs victimes désignées.

Et il fallait montrer par surcroît, et pour exemple, que toute l’histoire du XIXe siècle a été précisément la lutte des principes révolutionnaires : égalité, souveraineté nationale, contre les droits de l’homme, qui sont de plus en plus battus en ruine par ces terribles envahisseurs. Car on ne fait pas à l’égalité sa part et on ne la fait pas non plus à la souveraineté nationale ; et l’égalité ne désarmera pas tant qu’il y aura une inégalité, même naturelle, devant elle ; et l’on ne voit pas pourquoi elle désarmerait. Et la souveraineté nationale, par définition, n’a pas de limites et, par caractère naturel, n’en supporte et n’en admet point.

Si l’on veut, ce qui me semblerait assez correct, appeler droits de l’homme la liberté, la sûreté, la propriété, les garanties constitutionnelles, la résistance à l’oppression, droits du peuple l’égalité et la souveraineté de la moitié plus un ; on pourra dire que l’histoire politique du XIXe siècle est la lutte des droits du peuple contre les droits de l’homme ; que les droits de l’homme sont condamnés à mort à l’avance par la Révolution, dont le