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d’êtres grouillans. Des nuées de ces sauterelles ont été capables de mettre obstacle à la marche des troupes. On raconte qu’après la bataille de Pultawa, l’armée de Charles XII, poursuivie à travers la Bessarabie par Pierre le Grand, fut arrêtée par un vol prodigieux de sauterelles qui s’abattit sur elle[1].


V

On a vu que les essaims d’invasion qui se répandent dans les régions subpermanentes et dans les régions temporaires, pour parler comme Riley, ne parvenaient pas, ordinairement, à s’y maintenir. Ils succombent à des conditions extérieures défavorables et surtout à l’assaut des êtres qui vivent à leurs dépens. C’est là une loi naturelle. Lorsqu’une espèce se développe d’une manière excessive, elle est ramenée dans ses limites par le développement parallèle de ses ennemis et de ses parasites.

Les essaims d’acridiens en traînent beaucoup à leur suite, et d’abord, les oiseaux. Mézeray raconte, à propos de l’invasion de sauterelles qui désola les environs d’Arles en 1613, que ces insectes étaient suivis par des nuées d’oiseaux. L’observation est exacte. La gent ailée, comme dit La Fontaine, fait un véritable carnage des acridiens. Les étourneaux sont au premier rang ; le martin rose ou merle rose et le martin triste ; puis, viennent des échassiers, comme aux États-Unis, des tétras ou poules de prairie, des colins de Virginie.

Les acridiens ont des ennemis non moins redoutables parmi les insectes. Certaines mouches s’attaquent à l’insecte : d’autres à ses œufs. Une muscide, l’Anthomie, en 1876, a détruit le dixième des pontes dans le Missouri et l’Arkansas. En 1888, en Algérie, Künckel a vu une bombylide anéantir 5 à 20 pour 100 des pontes d’acridiens. Riley a observé une cantharide, l’Épicaute rayée, qui dévore les œufs des criquets américains.

Enfin, certains champignons parasites, les Entomophtora, peuvent exercer de grands ravages parmi les orthoptères dévastateurs. Herbert Osborn et M. A. Giard ont trouvé des champs entiers parsemés de cadavres d’acridiens accrochés à des branches ou à des brins d’herbe. Ces insectes avaient succombé à l’envahissement du champignon parasite dont le mycélium étouffe, dans son réseau feutré, tous les tissus vivans. Lindemann, en 1860, Skaczewski, en 1884, et

  1. Récemment, à Lézignan, entre Niort et Poitiers, elles ont immobilisé un train dont les roues, empâtées de cette bouillie vivante, patinaient sur place.