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la preuve d’une rupture déjà accomplie. M. Asquith et sir Edward Grey veulent bien être plus impérialistes que sir Henry Campbell Bannerman, mais pas assez pour être obligés de se séparer de lui, et surtout pas assez pour ne plus se distinguer de M. Chamberlain. Ils restent fidèles à leur parti et à leur chef. Leurs intentions sont exemptes de toute arrière-pensée séparatiste. S’ils ont eu quelques velléités d’aller de l’avant dans le sens impérialiste, ils se sont arrêtés quand ils ont vu combien lord Rosebery les dépassait. Ils n’ont pas voulu prendre devant l’histoire la lourde responsabilité d’avoir achevé la dislocation du parti libéral, pour mettre à sa place, quoi ? C’est ce qu’il était difficile de dire. Ils ont reculé devant cette perspective confuse, obscure et louche. Lord Rosebery, lui, a montré moins d’hésitation ou de timidité, et, le jour même où M. Asquith prononçait son discours un peu gris et effacé, il en prononçait un autre, dans lequel, sous prétexte de commenter sa lettre et de la défendre contre les attaques dont elle avait été l’objet, il la complétait en réalité et disait enfin toute sa pensée.

Sa pensée est qu’il faut faire un nouveau parti, car l’ancien n’est plus viable : s’il n’est pas encore mort, il le sera bientôt, et s’il a besoin d’un fossoyeur, lord Rosebery lui en servira volontiers. Telles étant ses dispositions, on aurait pu croire que lord Rosebery passerait purement et simplement au parti conservateur. C’est ce qu’a fait autrefois M. Chamberlain, et ces changemens, lorsqu’ils sont faits ouvertement et loyalement, ont toujours été admis en Angleterre : ils ne provoquent pas l’espèce de défaveur qui s’attache dans d’autres pays aux hommes politiques qui abandonnent une opinion pour en adopter une autre. Mais lord Rosebery s’est demandé ce qu’il irait faire parmi les conservateurs. Toutes les places y sont occupées ; lord Salisbury et M. Chamberlain occupent les deux premières et ont distribué les autres à leurs familles ; la situation d’un nouveau venu serait difficile. Ne vaut-il pas mieux réunir les mécontens des deux partis sous une bannière indépendante ? Lord Rosebery l’a pensé, et par là s’expliquent son attitude et son langage ; mais peut-être s’est-il trompé. Il y a des mécontens parmi les conservateurs comme parmi les libéraux, quoique en nombre moindre ; mais les premiers, pas plus que les seconds, ne songent à opérer un schisme et l’appel que lord Rosebery leur a adressé n’a pas été entendu. Il comptait principalement sur les libéraux unionistes, c’est-à-dire sur ceux qui, à l’exemple de M. Chamberlain lui-même, ont rompu, il y a une quinzaine d’années, avec la politique irlandaise de M. Gladstone et se sont ralliés au parti