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de la joie que de donner de la crainte. Toute la cour juge en bonne part votre arrivée en France, et vos entreprises ne passeront jamais pour suspectes ; faites tout ce qu’il vous plaira. Les victoires que vous remporterez en France sont des victoires de bienveillance et d’affection[1]. » Il faut voir dans les documens de l’époque ce qu’étaient ces « victoires d’affection, » à quel degré de férocité bestiale en arrivaient les armées régulières au XVIIe siècle. Devant ces abominations, les manœuvres des grandes Frondeuses pour multiplier les invasions et les soulèvemens perdent leur air trompeur de roman héroïque pour devenir de laides réalités. On prend en horreur ces faussés héroïnes, ces femmes sans bonté et d’imagination pervertie, qui badinaient agréablement sur la guerre civile entre deux jeux de société, mettaient leur vanité à rendre un honnête homme criminel et trouvaient élégant d’attirer de la souffrance sur quelque pauvre village ignoré. Mme de Longueville disait : « Je n’aime pas les plaisirs innocens. » Quant aux galans qui exploitaient l’influence des amazones de la Fronde, ils sont écœurans.

La cour arriva le 1er août à Libourne et y séjourna un mois. Il faisait très chaud. La reine restait renfermée et tenait sa nièce auprès d’elle à faire de la tapisserie. Mademoiselle se dévorait. Elle était quasi prisonnière, et tourmentée par le regret d’avoir fait une fausse démarche dont les Parisiens allaient se moquer quand ils rapprendraient. L’empereur étant redevenu veuf, Mademoiselle lui avait renvoyé Saujon pour arranger leur mariage. Elle n’avait pas renoncé au roi pour cela, et un ami lui avait fait sentir le ridicule de poursuivre ainsi deux maris à la fois, l’un barbon, l’autre enfant, et ne voulant d’elle ni l’un ni l’autre. Mademoiselle faisait des vœux pour que la guerre civile se prolongeât et empêchât les Parisiens de s’occuper d’elle, lorsque, brusquement, la scène changea.

Monsieur s’était réveillé : Retz avait fait ce miracle. Secoué par lui, Gaston prenait le rôle de médiateur entre les partis. A peine sut-on à Libourne qu’il devenait à ménager, que sa fille fut comblée d’attentions. La reine lui soumettait les dépêches, Mazarin affectait de dire très haut qu’il fallait la consulter sur tout, le reste de la cour la traitait avec la déférence due à une puissance. Mademoiselle reçut ce premier sourire de la fortune

  1. M. Feillet, qui cite cette lettre dans La Misère au temps de la Fronde, n’en donne pas la date.