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avec joie, mais sans étonnement ; les choses rentraient dans l’ordre, rien de plus. Elle fut modérée dans la victoire. Un jour que le cardinal s’étendait sur son affection pour elle et son désir de la voir impératrice, elle le laissa parler longtemps et se contenta de lui dire enfin : « Il n’y a pas de bassesse dont vous ne vous avisiez ce matin. » Mazarin ne s’en troubla pas autrement. Quelques semaines après, Mademoiselle confiait à Lenet que le cardinal « lui avait promis cent fois de lui faire épouser le roi[1], » mais qu’il « était un fourbe. » La reine disait : « Mademoiselle devient furieusement frondeuse. » C’était la vérité. Mademoiselle avait maintenant ses courriers de cabinet, qui lui apportaient le mot d’ordre de Paris. Sa cour était plus grosse que celle de la régente. Quand Bordeaux fut pris, les Bordelais n’eurent d’yeux que pour la fille de Monsieur : « Pendant le séjour de dix jours que la cour y fit, écrit Mademoiselle, personne n’allait chez la reine, et, quand elle passait par les rues, l’on ne s’en souciait guère ; je ne sais si elle avait fort agréable d’entendre dire que ma cour était grosse, et que tout le monde ne bougeait de chez moi, pendant qu’il y en allait si peu chez elle. » Tandis que la régente se morfondait dans la solitude, son ministre recevait des avanies des Bordelais. La reine en l’ut malade de chagrin et quitta la ville le plus tôt possible.

La cour s’arrêta quelques jours à Fontainebleau avant de rentrer à Paris. Monsieur y vint, s’emporta contre Mazarin dès la descente du carrosse, et fut bouder dans sa chambre sans avoir voulu voir la reine. Priée d’être la colombe de l’arche, Mademoiselle s’y prêta de fort mauvaise grâce. Après « force allées et venues, » Monsieur se décida cependant à saluer la régente ; « mais les choses, au lieu de s’adoucir, s’aigrirent, et il se sépara d’avec la reine de cette manière. » L’influence de Retz l’avait rendu agressif.

L’heure était critique pour le premier ministre. Il lui restait deux ressources : acheter Retz en le faisant cardinal, ou gagner la Grande Mademoiselle en la mariant au roi. Mazarin, ce qui n’est pas d’un grand politique, ne put jamais prendre sur lui de faire un plaisir à Retz. L’autre parti était difficile, à cause de la résistance de la reine, témoin des répugnances de son fils ; le cardinal était maître de la femme, il ne l’était pas de la mère et

  1. Mémoires de Lenet.