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marchand d’estampes qui le nourrissait tant bien que mal, et de gaspiller, au jour le jour, son argent comme il dépensait ses facultés. Lorsqu’il faisait mine de se révolter, les marchands avaient un moyen infaillible de le ramener à l’obéissance. Ils le menaçaient du caricaturiste amateur. C’est là, en effet, un trait curieux et qui prouve l’incroyable attraction exercée par la caricature sur toutes les fractions de la société anglaise. Les hommes et les femmes du monde se piquaient de manier le crayon, sinon le burin ; ils faisaient aux professionnels une dangereuse concurrence. Un avis, collé à la vitrine de S. W. Fores en mai 1787, informait les amateurs que leurs compositions seraient gravées gratis. Ce « gratis » n’est-il pas une trouvaille ? Il donnait les apparences d’une prime de faveur à ce qui était, en réalité, une rouerie commerciale, qui avait pour but d’exploiter à la fois la vanité des uns et le dénûment des autres. Oh n’est pas surpris d’apprendre, après cela, qu’un de ces marchands se vantait, un peu plus tard, d’avoir eu la plupart des œuvres qu’il avait éditées, gravées « pour le prix du cuivre. »

La spéculation aurait complètement échoué, si ces amateurs, — quelques-uns, du moins, — n’avaient possédé de réels talens. Pour ne pas encombrer ces pages d’une inutile nomenclature, je ne citerai qu’un nom, celui de Henry Bunbury, parce qu’il domine et résume toute une classe et toute une génération. Il était né en 1750. Fils d’un baronnet, sa naissance et sa fortune lui permettaient de frayer avec les plus grands et avec les plus riches. S’il est considéré comme un oracle dans le petit cercle de libertins qui entourent le prince de Galles, il tient aussi bien sa place aux fameux soupers de Reynolds, auprès de Burke et de Johnson, de Gibbon et de Fanny Burney. Le président de l’Académie le presse d’envoyer ses œuvres aux expositions annuelles. Il n’a guère plus de vingt ans lorsqu’il se fait connaître par des caricatures sur les macaronis qui, vers 1772, représentent le dernier cri en matière de chic. Les modes, les chevaux, tout ce qui tient à la vie oisive et élégante, voilà son domaine. Chez lui, l’intention est spirituelle et juste, l’exécution facile, un peu lâchée. Qu’importe ! Le graveur arrangera cela, comme nos correcteurs d’imprimerie peuvent mettre l’orthographe et la ponctuation dans les œuvres littéraires de certains de nos mondains et de nos mondaines.

Si les amateurs sont une légion, les professionnels forment