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levant, à la campagne, sur un rendez-vous de chasseurs, c’est, au contraire, parce qu’il a su s’arracher de son lit à cette heure matinale. Il possède les paysans, les soldats, les marins comme les flâneurs de Bond Street et les grecs des tripots du West End. Il les aborde comme ils se présentent, de face, de dos, de profil, courant, criant, riant, buvant, faisant l’amour. Il se fait un jeu des raccourcis scabreux et des perspectives embarrassantes dont Hogarth se serait prudemment abstenu. Les arbres, les édifices, la campagne, la mer, les navires : rien ne l’étonne, rien ne prend au dépourvu son universalité artistique. « Il n’y a rien de si beau que les marines de Rowlandson ! » disait le vieux George Cruikshank à M. Grego. Pour moi, je ne me lasse pas d’admirer ses chevaux et ses femmes. Nul ne sait, comme lui, arrêter une chaise de poste à la porte d’une auberge de village ou lancer à fond de train sur une pente quatre chevaux ardens, avec la maestria d’un cocher anglais de grand style ; nul, enfin, ne fait mieux voler, dans un nuage de poussière, les héros du turf sur la piste gazon née de Newmarket. Mais son crayon a aussi de mystérieuses sympathies pour l’humble travailleur des champs, aux formes massives, à l’allure lente et résignée, pour le pauvre cheval de labour ou de charrette dont le cou las se penche vers la terre et qui plie les jambes de devant comme s’il allait s’agenouiller pour demander grâce. Dans cette innombrable variété d’attitudes, pas un muscle qui ne soit à sa place et qui n’agisse au bon moment ; pas un mouvement qui n’exprime une intention. En sorte que je me demande si ce n’est pas Rowlandson qui a révélé le cheval, — je dis l’âme et le corps du cheval, — à ces animaliers dont le succès fut si vif à la génération suivante et parmi lesquels Edwin Landseer fut le plus grand.

La même génération devait porter très loin le culte de la beauté féminine. Nos grand’mères, il y a quatre-vingts ans, cherchaient dans les keepsakes anglais un idéal de grâce et d’élégance qui, finalement, s’évanouit dans une fade perfection, dans l’invraisemblable délicatesse des lignes et des contours. Rowlandson avait été aussi un précurseur de ce mouvement. Au début de sa carrière, et jusque vers 1800, les formes pures, suaves et fraîches naissent d’elles-mêmes sous son crayon ou sous son burin, car le graveur, chez lui, possède toutes les qualités du dessinateur, et le enivre ne lui oppose pas plus de résistance que le papier ou la toile. Quelques-unes de ses