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plaisanterie de collège ou de table d’hôte. Le peu de philosophie qu’il ait jamais possédée l’abandonne ; il ne sait plus découvrir le caractère sous la grimace, ni extraire un type d’une foule humaine. Il sent son impuissance, et c’est alors qu’il renonce à la satire sociale pour revenir à la caricature politique. Là, il est assuré d’une collaboration qui garantit le succès, même aux plus médiocres efforts. L’amour-propre national, alors monté à un paroxysme de rage, justifie toutes les violences, approuve toutes les injustices et couvre toutes les pauvretés. Et, quand cette ressource, enfin, lui manque, le vieux caricaturiste se réfugie, avec la caricature elle-même, dans l’illustration des livres en attendant celle des journaux. Mais, quoi qu’il fasse, sa grâce et son élégance l’ont trahi. Son faire est devenu lourd, négligé, presque grossier. On dirait que ses modèles, les jolies filles de 1785, ont vieilli avec lui et, comme lui, se dégradent, s’épaississent, noient leurs contours dans un informe embonpoint. Rowlandson a cessé d’être exact et vrai, probablement parce qu’il ne prend plus de notes et ne pare plus aux dépenses de son imagination. Dès lors, chaque coup de crayon l’appauvrit, chaque effort nouveau l’éloigne de la nature. Enfin, voici un troisième et dernier portrait. C’est en 1826. Le vieil artiste est venu rendre visite à son ami Smith, le conservateur des estampes au British Museum et, pendant qu’il tient en main une gravure, l’honnête Smith esquisse l’image du visiteur. Caricature involontaire, que Rowlandson, mieux que tout autre, devait pardonner. A quoi bon la décrire ? Ce n’est pas une ruine, c’est une chose en démolition, un monceau de débris, un éboulement. Un an plus tard, il ne restait plus rien de celui qui avait été Rowlandson, rien qu’un nom sur une tombe et un souvenir dans la pensée de quelques vieillards.


III

L’autre grand caricaturiste de cette génération, le rival de Rowlandson, entré dans le monde un an après lui, l’avait depuis longtemps précédé dans la mort. Avec James Gillray, nous descendons d’un échelon dans la société, mais nous remontons d’un degré dans l’art ; car, si le talent de Rowlandson est dans la mémoire des formes et des mouvemens, dans l’évocation des types observés, dans l’heureux et facile agencement des détails,