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proprement parler, les forces évolutrices. Elles ont pour objectif unique, — ou du moins elles agissent comme s’il en était ainsi, — la perpétuation et l’amélioration de l’espèce. Il faut bien le reconnaître, dût notre amour-propre souffrir de cet humiliant aveu : l’individu n’a d’autre valeur, dans le mécanisme général de la vie, que celle d’un pur reproducteur. Pour les finalités du monde, l’homme n’est rien, l’humanité est tout.

Ayant, au prix d’inlassables efforts, pourvu l’espèce humaine d’une organisation splendide, d’un cerveau sans rival, la nature n’a pas voulu que la plus admirable de ses œuvres restât éternellement à la merci d’un funeste hasard. Et comme, de toutes les ressources défensives dont elle pouvait disposer, la souffrance était la moins précaire, c’est elle que, logiquement, cette même nature a choisie pour assurer notre salut. Etrangère à nos peines comme à nos joies, sourde à nos louanges comme à nos plaintes, elle poursuit imperturbablement à travers les âges sa mission originelle, nous protégeant en dépit de nous-mêmes contre les menaces extérieures, cachant avec un soin jaloux sous l’apparence du plus affreux des maux le plus inestimable des bienfaits.

Grâce à ce cruel amour, il nous est possible de résister victorieusement à l’ennemi qui sans trêve nous harcèle : alors que, privée d’un pareil secours, notre pauvre humanité, meurtrie, brisée, frappée au cœur, aurait depuis longtemps rejoint aux abîmes sans fond du néant la tourbe inanimée des créatures infimes auxquelles a été refusé le don de la douleur !


Dr C. VANLAIR.