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l’Orne, la Dives et la Touques et qui, mêlées à tous les détritus des falaises réduits à l’état de sable ou de vase, finissent par nourrir les bancs nombreux et mobiles qui encombrent l’estuaire du grand fleuve.

Mais le principal effort du courant qui traverse la Manche dans la direction de la mer du Nord se porte directement sur le rempart colossal de falaises qui court du Havre à l’embouchure de la Somme sur un développement de près de 150 kilomètres. Il attaque de front la saillie du cap d’Antifer. Là, il se divise en deux branches : l’une qui continue sa marche vers le Nord, l’autre qui descend au Sud jusqu’à l’embouchure de la Seine. Or, la roche crayeuse qui constitue l’énorme muraille n’a pas moins de 60 à 100 mètres de hauteur à pic et se compose de couches horizontales très régulières de 1 à 2 mètres d’épaisseur, séparées par des bandes de cailloux siliceux. Les fibres du massif calcaire sont verticales, et leur cohésion, qui, dans ce sens, est naturellement très faible, est encore diminuée par les petits lits de silex horizontaux qui le découpent en prismes. Ces prismes ne peuvent avoir entre eux qu’une assez faible adhérence, et la roche entière est en quelque sorte prédisposée à se fendre et à se désagréger sous l’action des agens physiques. Ces agens sont de deux sortes : d’une part, la morsure continue de la mer et le choc violent et alternatif des vagues ; de l’autre, la lente infiltration des eaux pluviales à travers toutes les fentes du plateau. Deux fois par jour la marée vient saper le pied de la falaise, et on peut dire en toute vérité que chaque vague en emporte quelque parcelle. L’escarpe de la roche poreuse est déchaussée ; celle-ci finit par surplomber et se détache par fragmens.

Par certaines hautes mers de syzygies, qui coïncident souvent avec des tempêtes du Nord et de l’Ouest, le travail de démolition prend des proportions formidables ; et on a vu s’effondrer dans une seule marée plusieurs centaines de mille, quelquefois même un million de mètres cubes[1]. Les blocs éboulés sur la grève forment tout d’abord une sorte de brise-lames protecteur ; mais ce socle ne résiste pas longtemps à l’action destructive des flots. La marne est, en effet, essentiellement friable ; elle se brise et se délite en menus fragmens, et le mur de la falaise est de nouveau exposé à l’assaut des vagues. Ses débris délayés et

  1. El. Reclus, Géographie universelle, t. II, ch. XI, IV.