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pulvérisés sont entraînés par les eaux de la mer qu’elles jaunissent à une assez grande distance au large ; et les rognons de silex, roulés et convertis en galets, cheminent le long de la grande muraille blanche, les uns remontant vers le Nord, les autres descendant du cap d’Antifer au Havre et venant s’échouer à l’embouchure même de la Seine.

Les eaux d’infiltration qui pénètrent dans la masse rocheuse de la falaise et glissent entre ses fontes, les pluies qui tombent sur le plateau et les gelées de l’hiver contribuent aussi à cette œuvre de destruction ; et peut-être leur puissance de désagrégation est-elle encore plus forte que l’ébranlement causé par les heurts violens de la mer. Les eaux météoriques ramollissent en effet la roche, la dissolvent, y creusent des vides ; et les coups de bélier des vagues achèvent alors la démolition de l’édifice crevassé et fracturé.

Il est sans doute impossible d’évaluer exactement la masse des dépôts entraînés ainsi et échoués depuis les temps historiques entre le Havre et Honfleur, les deux portes d’entrée de la Seine, par les deux courans littoraux qui viennent y converger. Mais le reculement des falaises est un phénomène presque visible à l’œil, d’une marche continue et qu’aucun travail de défense n’a jamais pu complètement enrayer. L’érosion est du reste beaucoup moindre aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a quelques siècles ; et, d’une manière générale, les éboulemens ont diminué sensiblement à mesure que les dentelures se sont émoussées, que les saillies rocheuses et les caps avancés, naturellement plus exposés aux assauts de la mer, se sont effondrés, et que la muraille, autrefois très dentelée, s’est peu à peu adoucie, dessinant un long alignement curviligne à peu près régulier.

On peut d’ailleurs avoir une impression saisissante de la marche progressive de la corrosion et de l’empiétement considérable de la mer sur la terre par un fait historique relativement récent et qui constitue en quelque sorte un repère précieux. On sait d’une manière certaine qu’au commencement du XIIe siècle, le banc de l’Éclat, aujourd’hui noyé dans la petite rade du Havre, à 1 400 mètres environ de la côte, constituait la saillie extrême de la falaise elle-même. C’était le promontoire du plateau, effondré et disparu depuis. Sur ce cap avancé du pays de Caux, était bâti un petit hameau consacré à saint Denis, qu’on appelait naturellement Saint-Denis-Chef-de-Caux et dont l’église était placée