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fournissent chaque jour les guirlandes dont les brahmes ornent ton image de terre noire. L’or et les pierreries ne valent rien pour toi ; tu es la chair de la femme, et rien ne t’est plus semblable que les pétales des fleurs ! Quand je serai sur le bûcher, ô ma mère, fais qu’à travers les flammes claires, mon dernier regard soit pour ces roses, et que mon âme s’envole vers toi comme le font à chaque heure de la nuit leurs effluves !

Et la bégom s’arrêta épuisée, car jamais elle n’en avait autant dit. Des larmes, plus grosses que les perles qui pendaient à ses oreilles, vinrent rejoindre celles qui bordaient le large disque d’or fixé à l’aile gauche de son nez, et les perles de la mer n’étaient pas plus limpides que les perles liquides qui ruisselaient doucement le long du visage ovale et d’une blancheur de cire.

Aux oreilles de Navarapouni en extase, l’air parut chanter ; à ses narines, l’odeur des roses monta plus forte ; un brouillard bleu, comme la fumée du benjoin, l’enveloppa ; et elle entendit une voix grave et puissante qui disait :

— Fille de Palajesha, le parfum de tes vertus est monté jusqu’à mon trône et, comme une tubéreuse qui s’ouvre, ton cœur embaume la piété. Vierge tchatria, j’accepte ton sacrifice.

Un bras éclatant comme s’il fût fait d’un rayon de lumière apparut alors, et, dans un battement d’ailes de paon, la bégom sentit une main s’appuyer sur son front. Elle tomba pâmée.

Mais voici que les rosiers parurent grandir, et l’étroit espace des parterres devint large à contenir une armée. Les murailles reculaient dans tous les sens comme les brumes qui s’éloignent sous l’effort des vents. Une forêt de lances parut sortir de terre, entraînant avec elles des escadrons tout entiers. Et l’on eût dit que de grands poissons dorés, suspendus par rangs à autant de lignes, émergeaient du fond d’un lac.

Dix mille cavaliers, peut-être, se dressaient là, sur cinquante hommes de face, car on aurait pu compter jusqu’à deux cents files, et tous portaient des armures comme on n’en voyait plus depuis longtemps. Les voiles de mailles cachaient les faces coupées par le nasal convexe dont la tête s’épanouissait, au droit de la coupole des casques pointus, en calices de fleurs d’où sortaient, comme autant de bouquets, les tourtes légères des plumes teintes. Des cuirasses damasquinées enserraient de leurs