Je n’avais droit à rien, et tu m’as tant donné,
Ma pensée et mes sens, mes yeux et mes oreilles,
Pour voir et pour entendre, encor tout étonné,
Mus du rythme éternel, l’espace et ses merveilles.
Je n’avais droit à rien, et de toi j’ai reçu,
Etre inconnu, par qui je suis, je vis et rêve,
La vision du monde, un court moment perçu,
Et l’amour, dont la joie infinie est si brève.
Oh ! que suis-je, et qu’es-tu ? Je ne le puis savoir ;
Mais je te remercie, aux confins de la tombe,
De m’avoir tant donné, m’ayant fait entrevoir
Tes clartés d’or, avant la nuit où je retombe ;
D’avoir permis qu’à moi, le fantôme d’un jour,
Ainsi ta beauté vague ait été révélée,
Et d’avoir fait tomber quelques gouttes d’amour
Vers ma bouche, bientôt pour tout jamais scellée.
Qu’avais-je mérité ? Rien, et tu m’as béni ;
Comment et pourquoi moi, surtout moi, non tant d’autres
Qui n’ont vu que le mal en ton Être infini,
Et tes laideurs, pour eux à l’image des nôtres ?
Et, bien que vil, comblé sans cesse de tes dons,
Mais songeant aux damnés, j’étais fou de blasphèmes :
Repentant aujourd’hui, j’implore tes pardons,
Et tremble, ayant si mal mérité que tu m’aimes !
JEAN LAHOR.
Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/933
Apparence
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ἈΓΝΩΣΤῼ ΘΕῼ (AGNÔSTÔ THEÔ)