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impossible que la campagne qui est déjà commencée en Allemagne et au dehors porte finalement quelques fruits.

La situation du comte de Bulow est difficile. Quoi qu’il fasse, il n’arrivera pas à satisfaire tout le monde : c’est un rêve que nul n’a encore réalisé en pareille matière, et qu’il ne réalisera pas le premier. Pour le moment, il n’a satisfait personne. Quoi ! dira-t-on : pas même les agrariens ? Il faut le croire, si on les écoute. Ils se montrent, en effet, aussi mécontens que qui que ce soit, protestant qu’on les a dupés une fois de plus, que les tarifs en cause sont tout à fait insuffisans et ne feront qu’achever leur ruine. Les agrariens sont-ils en cela bien sincères ? Est-ce par tactique ou par conviction qu’ils tiennent ce langage ? Nous ne nous chargerons pas de le dire. Étant donnée l’étroitesse de leur conception économique et politique, peut-être sont-ils convaincus : mais alors qui les satisfera jamais ? A mesure qu’on leur fait une concession, ils en demandent, ils en exigent une autre, et leur désir va toujours bien au-delà de ce qu’on leur accorde. Si l’on a cru se les concilier par les tarifs nouveaux, on s’est trompé. Peut-être M. de Bulow a-t-il espéré qu’à force de condescendance il désarmerait l’opposition intraitable qu’ils ont faite jusqu’ici aux fameux projets de navigation intérieure auxquels l’Empereur s’est attaché avec tant d’ardeur. Mais rien n’est plus douteux. Les agrariens allemands sont les plus logiques des hommes. Ne voulant pas l’introduction chez eux des marchandises étrangères, ils trouvent tout à fait inutile et compromettant d’en faciliter l’importation par des chemins de fer ou par des canaux. Ils ne sont pas, comme l’Empereur, en proie à des aspirations contradictoires ; la simplicité, l’unité de leur pensée est absolue ; ils savent ce qu’ils veulent et s’y tiennent obstinément. C’est là d’ailleurs ce qui fait leur force, et ce qui donne à leur parti une importance qu’il ne saurait tirer du nombre de ses membres. Les gens qui ont l’humeur chagrine et le caractère exigeant deviennent très puissans, surtout lorsqu’on croit ne pas pouvoir se passer d’eux. C’est ce qui arrive aux agrariens. Critiquant tout, s’opposant à tout, demandant tout, ils ont fini par imposer leurs prétentions à la chancellerie impériale : reste à savoir s’ils seront aussi heureux ailleurs. C’est une tâche laborieuse que s’est donnée M. le comte de Bulow, de mettre d’accord tant d’intérêts divergens. S’il y réussit, il aura sans doute accompli un tour de force dont peu de ministres seraient capables à sa place ; mais aura-t-il vraiment servi les intérêts de l’Allemagne ? Aura-t-il rendu les classes rurales plus heureuses et plus riches en augmentant pour elles le prix des principaux objets