Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/957

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’aventurier, qu’il avait été dans sa jeunesse ont toujours persisté en lui. Lorsqu’il a été maître du pouvoir, il a recherché pour son pays et pour lui-même des victoires militaires : il en éprouvait le besoin jusqu’à l’obsession maladive. Comprenant d’ailleurs fort bien que la Triple-Alliance n’était qu’un poids très lourd, une charge très onéreuse pour l’Italie, si elle ne servait pas à la guerre, il a fait tout ce qui dépendait de lui pour la rendre belliqueuse ; mais le gouvernement allemand entendait rester le maître de sa politique, et maintenir l’Italie dans sa fonction de satellite. La paix européenne n’a pas été troublée. M. Crispi a cherché alors une compensation en Afrique : il a abouti au désastre d’Adoua. La mort, du même coup de faux, vient d’enlever le ministre qui avait conçu l’aventure, et le général Baratieri qui avait été chargé de l’exécuter. Un succès éclatant pouvait seul justifier M. Crispi ; un revers devait précipiter sa chute. Elle a été profonde et irrémédiable. Une politique nouvelle a remplacé celle qui avait si mal réussi. M. Crispi a survécu quelques années ; mais il n’était plus que l’épave d’un naufrage. L’histoire, sans doute, lui sera sévère. Devant une tombe qui n’est pas encore fermée, son jugement serait prématuré : nous nous contenterons de constater la grandeur du rêve, l’inefficacité des moyens, la tristesse et l’amertume de la déception.


FRANCIS CHARMES.