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de l’existence pour les humbles et les pauvres. Quoi qu’il en soit, c’est un fait significatif que cette préoccupation, qui s’impose en même temps à deux hommes aussi divers que M. le comte de Bulow et M. le docteur Kuyper, au sujet de bénéfices dont la source, un peu inquiétante et suspecte, a besoin d’être purifiée par l’emploi qui en est fait. Nous ne voyons que deux inconvéniens à ce procédé. Le premier est qu’il y a toujours quelque chose d’arbitraire dans la manière dont cette espèce de restitution s’opère, et que ce ne sont pas toujours ceux qui ont le plus souffert de l’exagération des tarifs douaniers qui profitent des œuvres sociales fondées avec le produit des douanes. Le second est qu’il est contraire au principe de l’unité du budget de le diviser en plusieurs compartimens, et d’alimenter par exemple une caisse des retraites, non pas avec les recettes générales, mais avec une recette spéciale qui doit en rester distincte. Cette question de comptabilité mise à part, on ne peut qu’approuver la tendance que nous venons de signaler. Elle présente le protectionnisme comme un peu honteux de lui-même, et désireux de se faire excuser par les bonnes œuvres qu’on accomplit en son nom. Sans doute il y a en tout cela une question de mesure, et la protection du travail national contre une concurrence qu’il est incapable de soutenir est très défendable, ne fût-ce qu’à titre d’expédient. Mais, lorsqu’il s’agit de satisfaire une clientèle politique, ou de favoriser spécialement une classe sociale, comme c’est bien le cas en Allemagne, la question change de face et on s’explique les solutions nouvelles qui interviennent. Elles sont, en tout cas, un signe des temps.

M. Crispi vient de mourir après une longue agonie. La place nous manque pour parler du rôle qu’il a joué ; mais en occupera-t-il une plus considérable dans la postérité ? Que restera-t-il de sa vie si agitée, si bruyante, si turbulente et si brouillonne ? Elle n’a certainement profité ma son pays, ni à l’Europe. Sa politique n’a laissé que des ruines. Nous lui rendons la justice qu’il a aimé passionnément l’Italie ; il aurait voulu la faire grande et puissante ; et c’est pour ce motif que tant de I compatriotes, et la monarchie elle-même, ont cru en lui et l’ont suivi jusqu’au bord de l’abîme. Il a flatté, en cela, l’imagination italienne. Mais il n’avait pas les qualités d’un homme d’État, dont la première consiste à mesurer son effort aux moyens dont on dispose pour le soutenir. C’est surtout en politique qu’il est vrai de dire que le bon sens est le fond du génie : c’est pourquoi M. Crispi n’a pas été un homme de génie. Les habitudes et les procédés du conspirateur et de