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d’une voix tonnante : « Qu’ils soient excommuniés ! » Les clercs, imitant le geste du pontife, répétèrent : « Qu’ils soient excommuniés ! » Les chroniqueurs ajoutent que le peuple, saisi de terreur, s’écoula lentement.

Ces papes redoutables habitaient le palais voisin de la cathédrale. On y accède par un escalier conduisant à une loggia formée d’arcades aux colonnes élégantes, à l’entablement rehaussé d’écussons et de sculptures gothiques. C’est de là que les pontifes donnaient au peuple assemblé la bénédiction apostolique, après les cérémonies solennelles. Au travers des restaurations successives, on cherche en vain les anciens appartemens pontificaux. Une salle a survécu, sorte de hall gigantesque, austère, éclairé par deux rangées de fenêtres superposées. Elle est couverte par un toit fait de grosses poutres qui sont restées apparentes. Dans le sol, on discerne des trous réguliers ; ces trous ont leur histoire, comme la salle elle-même.

Clément IV venait de mourir. Or, depuis 1039, l’élection pontificale appartenait de droit aux cardinaux. Cette fois, onze Italiens et treize étrangers se trouvaient en présence. Aucune règle ne leur était imposée ; ils délibéraient et votaient selon leur bon plaisir. Les premières conférences firent prévoir qu’on parviendrait difficilement à s’entendre ; de fait, des mois s’écoulèrent sans qu’on eût seulement incliné vers un accord. Scandalisé de cette inertie, le podestat de Viterbe menace de prendre des mesures coercitives contre les cardinaux : il est excommunié. Cependant la chrétienté commence à s’émouvoir. Saint Bonaventure conseille d’enfermer les électeurs jusqu’à ce qu’ils aient décidé du sort de l’Eglise. L’avis est adopté et, certain jour, les cardinaux, saisis chez eux, sont enfermés dans la grande salle du palais pontifical. Les victimes ne se font pas faute de protester, comme on peut l’imaginer, sans que leurs monitoires courroucés produisent, cette fois, la moindre impression. Les prisonniers doivent faire contre fortune bon cœur. Dans la salle immense, un camp pittoresque se dresse ; les trous dont le sol est percé marquent l’endroit où furent plantés les piquets des tentes cardinalices. Mais, tout reclus qu’ils sont, ces vieillards demeurent inébranlables. On rationne leur nourriture : c’est en vain. Sous forme de plaisanterie, le cardinal-évêque de Porto dit un jour à ses collègues : « Enlevons le toit qui empêche le Saint-Esprit de descendre en nous ! » Le mot parvient aux oreilles des