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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/147

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ils changent souvent de place. La conversation ordinaire n’est pas toujours ininterrompue, elle languit ; les phrases y sont souvent espacées ; surtout, les répliques n’y mordent pas l’une sur l’autre, comme dans le langage scénique où les personnages comprennent avant qu’on ait parlé et disent, sans hésitation et avec une intelligence rare, des choses typiques et venues à point. L’aparté, le monologue, est fort théâtral et néanmoins conventionnel. On doit arriver à donner au public l’illusion que l’acteur « pense tout haut, » et se garder par conséquent, de le faire monologuer devant le trou du souffleur.

Il est certain que les conditions scientifiques de la mise en scène n’admettent pas toutes les possibilités réelles, et la « pièce bien faite, » la « pièce théâtre, » que l’on accuse de sacrifier aux conventions surannées, n’est pas si usée qu’on le dit. Mais c’est justement parce que sans cesse elle se renouvelle par des innovations heureuses. L’unité de temps et de lieu fut autrefois un premier pas vers ce qu’on nomme aujourd’hui le « réalisme ; » plus tard, il sembla meilleur de s’en affranchir pour approcher davantage de la vraisemblance. L’histoire de l’ordonnance théâtrale des pièces est pleine de cette lutte éternelle entre la réalité et la convention, qui cohabitent forcément sur les planches ; entre les traditions que le succès consacre et les révolutions qui les détruisent, consacrées à leur tour par des succès nouveaux.

Cette œuvre, artificielle par essence, a pour constant objectif la poursuite du naturel. Ainsi ont disparu, depuis quarante ans, bien des passades et des gestes catalogués, un marcher spécial et sentant légèrement la charge. Les entrées et les sorties deviennent plus rationnelles, le placage des tirades se fait plus rare. Le besoin de faire tout converger vers la salle, pour que le spectateur entende, qu’il voie les jeux de physionomie et que l’acteur attrape le mot oublié, n’a pas empêché Sardou et Halévy de faire asseoir leurs personnages autour d’une table, dans un coin de la scène, et de les faire causer en se regardant ; tandis qu’autrefois, alignés devant la rampe comme des musiciens ambulans, ils parlaient alternativement au public.

Il est au reste différentes sortes de mises en scène, ayant chacune leurs secrets et leurs exigences : celle de la comédie bourgeoise, celle du drame à grande figuration, celle du spectacle musical. A l’Opéra, la place et les mouvemens des chœurs sont motivés souvent par les accompagnemens de l’orchestre et