police, sur la demande du public, qui tenait à savoir quels artistes il entendrait. La liste de leurs noms, mise dans un petit carré au bas des placards, se confondait avec le prix des places. Potier, le premier, exigea la vedette ; ses camarades s’en montrèrent très choqués, et l’imitèrent. Seul le Théâtre-Français, dirigé par des comédiens, résista à cette coutume, cause de sérieux embarras ailleurs, lorsque plusieurs artistes, qui jouent dans la même pièce, ont chacun, par une clause de son engagement, le droit d’être en tête de l’affiche. Le directeur s’en tire avec une disposition typographique en demi-cercle, qui met tout le monde d’accord.
Il ne semble pas que l’artiste dramatique, malgré le rang honorable qu’il occupe dans la société moderne, ait dépouillé complètement cette vanité inquiète et cet amour du paraître qui lui ont été reprochés à juste titre. Mais, ainsi que nous le remarquions dans une étude antérieure[1], le « cabotinage » s’est tellement répandu dans notre monde démocratique, sous les formes les plus délicates et avec tant de subtiles raisons, que les gens de théâtre n’en ont plus ni le monopole, ni même peut-être la primauté. Mais ils en gardent une bonne dose : cette susceptibilité, celle émulation aigrie, devient un vice professionnel. C’est le châtiment de recevoir les applaudissemens en personne. De ces louanges, envoyées en pleine figure, sous la forme la plus bruyante, — et non pas seulement exprimées par écrit ou en conversation, comme pour l’auteur, — l’interprète a faim et soif. C’est son pain quotidien, et comment lui en vouloir de cette fringale de bravos ? Son ivresse est si fugitive, son œuvre si fragile ; tout son effort meurt avec lui, et les battemens de mains doivent payer, en une minute, sa gloire qui est d’un jour.
Durant la scène pathétique, pendant le duo d’amour, le jeune premier, la jeune première, dans le feu des paroles passionnées qu’ils échangent, écoulent avec impatience les tirades de leur partenaire ; ils ont hâte qu’elles finissent pour pouvoir parler à leur tour, et, si la fin de l’une d’entre elles est saluée par des trépignemens, c’est un supplice pour le camarade de voir sa réplique retardée et son ovation compromise. Dans un ménage d’acteurs, le mari et la femme sont volontiers jaloux de leurs lauriers réciproques.
- ↑ Voyez, dans la Revue du 1er février, la Publicité.