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Comment l’acteur apprend-il, compose-t-il son rôle ? Comment parvient-il à se l’assimiler si bien, qu’il peut, tout en jouant, faire des réflexions à son interlocuteur à mi-voix, sans que l’intonation ni le geste, moins encore les mots mêmes de la diction, en soient affectés. Chacun a lu, dans Diderot, le Paradoxe du comédien, où sont examinés et comparés, afin de décider quel est le meilleur, les deux systèmes du « jeu machinal » et du « jeu ému. » Dans le premier, l’acteur, toujours maître de lui, n’éprouve aucun des sentimens qu’il feint d’avoir ; mais il en imite si bien l’accent que le spectateur en est remué jusque dans ses entrailles. Dans le second, l’artiste se livrerait lui-même à la fougue des passions qu’il exprime, son cœur en serait tout possédé, et se communiquerait ainsi au public avec une force et une vérité que tout l’art du monde ne saurait atteindre.

Il n’est pas besoin de réfléchir longtemps sur les nécessités de l’art dramatique pour conclure, avec Diderot, que le second système, en pratique, n’existe pas. C’est celui des amateurs qui jouent d’inspiration ; il ne serait pas supportable chez les professionnels, qui ne peuvent ni ne doivent s’abandonner au hasard. Il faut distinguer ici ce que la science appelle l’action volontaire, de l’action réflexe ou instinctive. Qu’il s’agisse des exercices du corps ou des travaux de l’esprit, — et le jeu de l’acteur tient un peu de l’un et de l’autre, — on ne fait bien que ce que l’on a appris, ce qu’on a l’habitude de faire et que l’on est arrivé à faire instinctivement. Le maître d’armes, qui opère par « action réflexe, » parc et attaque beaucoup plus vite et sans se fatiguer, et pendant beaucoup plus longtemps, que son élève opérant par « action volontaire. » Il en va de même des besognes intellectuelles, pour qui s’y est rompu par un long usage. Ainsi l’acteur doit-il être devenu si familier avec son personnage, qu’il le joue comme sans y penser, et non pas qu’il veuille le bien jouer.

Mais il n’est parvenu à celle reproduction très juste, et pourtant mécanique, des sentimens les plus divers, amour ou désespoir, terreur ou haine, gaîté, fureur, ironie, naïveté, que par des méditations prolongées et des essais multiples. Le comédien médiocre apprend la pièce en répétant et garde le manuscrit à la main jusqu’à la veille de la représentation. A partir du jour où le rôle est confié au bon acteur, il habite avec lui, ils soûl deux ; c’est la gestation d’un être qui s’accomplit et, lorsqu’il le