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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/20

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Pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire, la cohésion des armées fut fondée sur une discipline librement consentie « très supérieure à une discipline passive. » « Or, le consentement à la discipline, un règlement ne l’obtient pas, un homme l’obtiendra, » dit M. Lavisse.

Cet homme fut Napoléon. Il sut se constituer des armées ardentes et enthousiastes, parce que le soldat venant de la conscription était la sève même du peuple français. Il fut admirable. L’initiative se trouvait à l’aise. Les héroïsmes étaient mis en pleine lumière. La tactique prussienne de Saint-Germain put être alors abandonnée et remplacée par la tactique des tirailleurs et des colonnes. Elle valut à Napoléon ses plus belles victoires.

Quant aux troupes prussiennes, elles avaient conservé le formalisme de la tactique frédéricienne. On sait ce qu’il en advint à Iéna.


Après ce désastre, la Prusse, et avec elle toutes les puissances continentales, adoptèrent notre conscription. Mais elles gardèrent les méthodes d’instruction prussiennes. La France elle-même revint avec la Restauration au dressage automatique de la recrue, aux mouvemens de parade, par cette raison que, si les règlemens, la tactique d’une armée, peuvent se modifier rapidement, il n’en est pas de même de sa mentalité. Celle-ci faite de routine, appelée tradition, se perpétue par les cadres, dont le personnel se renouvelle lentement. C’est ainsi que, dans presque toutes les armées, le commandement a une tendance à suivre les principes de la discipline coercitive qui conduit au formalisme des procédés de combat.

Les règlemens sont alors appliqués au pied de la lettre, sans tenir compte des causes. Aussi voit-on que dans la plupart des codes de justice militaire, évangiles de la discipline coercitive, les circonstances atténuantes ne sont pas admises. Ces procédés ont encore beaucoup d’adeptes, car ils favorisent l’inertie et couvrent les responsabilités. Le chef n’a nul besoin de faire appel à son intelligence ou à son jugement. Il applique un article de règlement et se retranche derrière cette forteresse. Quoi qu’il arrive, il est couvert. Système commode qui, en temps de paix développe la paresse, brise les initiatives, et décourage les bonnes volontés ; tandis qu’en temps de guerre, il amène l’inertie et par là le désastre.