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plus généraux de l’âme[1], » et, comme dira Wagner, « le purement humain. » C’est encore une idée wagnérienne, avant Wagner, que la musique, indifférente au détail, nous donne en quelque sorte « la somme de l’univers. »

Il n’est pas jusqu’au leitmotiv, dont le librettiste de Mélusine n’ait suggéré l’idée première à Beethoven : « Je me suis demandé s’il ne conviendrait pas de marquer chaque apparition ou chaque action de Mélusine par une mélodie facile à saisir qui reviendrait toutes les fois. L’ouverture ne pourrait-elle pas commencer par cette mélodie, et, après l’allegro bruyant, cette même mélodie ne pourrait-elle pas servir à former l’introduction ? Dans ma pensée, ce serait celle du premier chant de Mélusine[2]. »

Enfin et surtout, lorsqu’ils ont considéré les rapports de la poésie avec la musique et la distinction entre le sens intellectuel du langage et la valeur sentimentale des sons, Grillparzer et Wagner, un moment, ont eu des vues pareilles. Mais, à peine se sont-ils rencontrés, qu’ils s’éloignent l’un de l’autre, en se tournant le dos. Tandis que Wagner est plus louché par les affinités réciproques de la musique et de la poésie, Grillparzer l’est davantage par leurs répugnances. L’un n’a cherché qu’à réunir les deux arts ; l’autre a rêvé constamment de les séparer.


V

Ainsi Grillparzer s’est trompé souvent. Il a péché contre certains musiciens, et non des moindres. Mais, parce qu’il a beaucoup aimé l’un des plus grands, et la musique elle-même, il lui sera beaucoup pardonné. Aussi bien on pourrait expliquer, si ce n’est excuser, ses jugemens, fût-ce les plus étroits, les plus injustes, par la nature même et par l’aveuglement de cet amour, par l’intolérance d’une doctrine ou d’une religion que nous avons essayé de définir et que résume assez bien la note secrète sur Beethoven et sur les périls où Grillparzer a redouté, vainement, qu’il ne jetât la musique. Le temps a démenti ces augures funestes. De Beethoven à Wagner, l’évolution musicale s’est poursuivie et consommée dans le sens contraire à l’idéal du poète-musicien. Il a vu de plus en plus sacrifier à ce qu’il appelait des « combinaisons risquées, » des « hurlemens et

  1. M. Ehrhard.
  2. Ibid.