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de l’Académie, œuvre d’autant plus utile que la langue commence à se corrompre… » Il se faisait illusion. Les trois éditions que le Dictionnaire avait eues jusque-là n’avaient nullement empêché la « corruption » de la langue ; la quatrième, qui parut l’année suivante, ne l’arrêta pas davantage, et la huitième, quand elle paraîtra, n’y fera pas plus obstacle que les précédentes. Le Dictionnaire n’a d’autorité vraiment décisive que pour l’orthographe, que l’Académie n’a pas créée, qu’elle a acceptée à peu près toute faite, mais qu’elle maintient depuis deux siècles, sauf trois modifications d’ensemble (adoption du j et du v en 1718, suppression des s inutiles en 1740, changement d’oi, prononcé è, en ai en 1835) et quelques modifications de détail inconséquentes et fortuites. Pour l’orthographe, le Dictionnaire de l’Académie est l’étalon officiel, sur lequel se règlent et l’enseignement et l’imprimerie : le jour où elle croira devoir la réformer, elle sera suivie sans difficulté. Pour le lexique, il n’en est pas de même : les autres dictionnaires ne s’enferment pas dans le choix académique, — choix que le hasard a souvent restreint au-delà même des idées des plus déterminés conservateurs, — et se bornent, en signe de respect, à marquer d’un astérisque les mots — mais non les sens ! — qu’ils y ajoutent ; les typographes, qui éliminent d’autorité les graphies contraires à l’orthographe académique, ne songent pas à rayer, des livres ou des journaux qu’ils impriment, les mots absens du Dictionnaire. Le Dictionnaire n’en est pas moins une œuvre utile et vraiment nationale ; ce n’est pas un code, comme ceux qui l’ont commencé avaient rêvé qu’il le fût, mais c’est un document de grand prix, qu’il serait très fâcheux de ne pas voir se renouveler dans la suite des temps comme il a fait dans le passé.

Après le choix des mots et des sens, — ceux-ci rangés dans un ordre dont je parlerai plus tard, — viennent la définition des mots et l’explication des sens. Les définitions de la première édition du Dictionnaire ont prêté à la raillerie : elles sont parfois, en effet, d’une naïveté singulière pour ce qui concerne les sciences et surtout l’histoire naturelle. Ce défaut a été très atténué par la suite et disparaîtra, on peut l’espérer, tout à fait. En soi, il ne manque pas d’une certaine grâce, et il tient à toute la conception du Dictionnaire. Le Dictionnaire doit contenir les mots de la langue des « honnêtes gens » et les définir comme les honnêtes gens les définissent : or, les honnêtes gens, — qui